1768-07-29, de Marie Louise Denis à François Marc Samuel Constant de Rebecque.

J'ai été bien flatée, Monsieur de l'honneur de votre souvenir et de votre aimable lettre, j'aurais eû celui d'y répondre sur le champ si je n'avais pas eû trop de choses à vous mender.
Je vous guardais toujours pour la bonne bouche, et sur ces entrefaites je me suis avisée d'être malade, ces enciens maux de rhins m'ont repris avec assez de violences. J'ai fait des remèdes et je suis mieux présentement.

Mr votre frère a passé ici comme une éclaire. Il est venu me chercher sans me trouver. J'ai envoié chez lui, il n'a pu revenir et est parti pour la Corse sur le champ. J'ai été désollée de ne le pas voir avant son départ. J'espère que vos deux jollies filles sont avec Mme Pictet et que vous êtes heureux dans votre famille.

Vous me dites que vous êtes libre présentement et qu'il ne tient qu'à moi de disposer une seconde fois de votre sort. Assurément si je le pouvais je vous prierais de vous raprocher de moi. Mais je suis encor comme l'oiseau sur la branche. Je comte habbiter une maison que j'ai loué au mois de 7bre ou peut être y mettre écrito pour la relouer. Je ne sçai ce que le patron veut faire, il parle de vandre Fernex, ensuite de ne le pas vandre, epuis de la vandre; enfin j'attands ses volontez. Da reste je n'ai lieu que de m'en louer jusqu'â présant. Mais il faut que l'hyver passe par dessus tout cela pour y comprendre quel que chose, et pour que mon sort soit un peu assuré. Je vous suplie Monsieur que ceci ne nous passe pas. Le patron a certenement des idées qu'il est difficile de démêler encor. Avec de la passience on vient à bout de tout.

J'ai eû des affaires par dessus les yeux et j'ai été presque toujours malade depuis que je suis ici. J'espère pourtant reprendre le dessus. J'ai revu beaucoup d'enciens amis, je recherche peu les nouvelles connoissences. J'ai grand envie si je reste ici d'y vivre en philosophe, j'ai tant vu le soleil qu'à la fin je vois qu'il n'y a qu'une sossiété dousse qui puisse amuser et occuper un être resonable. Nous avons eu hyer une comédie nouvelle qui a fait la culbute. Le titre est les deux frères. L'un a été élevé à la campagne; et l'autre aumilieu de Paris. Il est question d'une sucession très considérable qui tombe à une geune veuve pour vu qu'elle épouse un des deux frères à son choix. Celui qui vient de la campagne est un homme simple, modeste, mais très aimable, l'autre a tous les ridicules de cette ville sans bonne calités. La veuve choisit l'élève de la campagne. Mais malheureusement l'intrigue est si mauvaise que les trois derniers actes n'ont pas pu se soutennir quoi qu'il y eût de jollies choses dans les premiers.

Que ferez vous cet hyver? vous deveriez le venir passez à Paris, j'en serais comblée de joie. Dites moi quels sont vos progets. Je souhaite fort qu'ils vous raprochent de moi et que je puisse vous renouveller les sentimens qui m'attachent à vous pour la vie.

Denis