1769-08-09, de Marie Louise Denis à Pierre Michel Hennin.

Il y a un sciècle Monsieur que je n'ais reçu de vos nouvelles.
Mon amitié pour vous ne s'accomode pas d'un silence aussi long. Comment vous portez vous? Comment vont vos affaires? Espérez vous faire entendre raison à un homme qui n'en a point? Je sçai que ce n'est pas une besogne aisée.

Je suis actuelement dans de grandes disccussions avec le patron. La proposition que nous lui avons faite l'un et l'autre de me laisser vivre à Geneve l'a misse dans une collere affreuse et enfin l'a amené à me proposer de revenir à Fernex. Il m'a même avoué qu'il s'était fort ennuié cet hyver, ce qui m'a fait un certain plaisir. Il m'a mendé de partir quand je pourais. Je lui ai répondu que je comtais venir en poste avec un laquais et une femme de chambre, et que mon coché viendrait à très petite journée avec ma berline et mes deux chevaux. Il m'a répondu que je n'aurais pas besoin de femme de chambre chez lui, qu'il en avoit une très bonne, très adroite et très éléguante à me donner (c'est Mlle Nolet, la geuse de Mr Duret), qu'à l'égard des laquais de Paris il avait une orreur affreuse pour eux, que je n'avais qu'à reprendre la Vigne, que ces gens me serviroient, qu'un coché de Paris lui serait insuportable, que des chevaux de Paris ne voudroient pas trainer du foin, qu'il avoit de bons chartiers qui menoient fort bien dans l'occasion dont je me servirais. Je lui ai répondu que je voudrais que mon sexe, Mon âge, mes forces et mon état me permissent de faire le voiage à pied avec un peti paquet sur mon dos, mais que je ne pouvais me passer d'un laquais et d'une femme de chambre en route, que Maton ne me suivrait pas, que je mennerais Aguate, qu'il était bien difficil que venant de Paris, je prisse un laquais ailleur pour m'enmener, que pour mes chevaux et mon choché ils m'étoient d'une nécessité indispensable, d'autant qu'il m'annonsait que je n'aurais aucune espesse de sossiété, que comme je ne voulais point troubler sa solitude je voulais quand je m'ennuirais aller chercher du monde, que Lavigne ne pouvait me convenir par ce que j'avais besoin d'un homme qui frota mon appartement, qui monta derière le carosse, qui pût m'en dessandre, et qui fit des comitions, que j'abbillerais et que je paierais mes gens. J'attends sa réponce mais je ne me départirai pas de mes trois domestiques n'y de mon carosse. Vous voiez à quel point on est attaché à ce fripon puis qu'on veut me donner sa femme de chambre.

Je n'ai point perdu le proget de Geneve. Je vous suplie de me conserver toujours votre même bonne volonté. Vous êtes ma seulle resource en cas qu'on ne me paie pas ici, ou que je sois trop malheureuse si je vais à Fernex. On commence à saigner du nez. On me donne des créances qui ne vallent rien. Enfin Monsieur il me faut de la passience. Ne parlez point de tout ceci. Guardez moi un secret inviolable mais conservez moi de l'amitié et ne doutez pas des sentimens et de l'inviolable attachement avec le quel j'ai l'honneur d'être votre amie pour la vie.