ce 6 aoust [1769] de Paris
Vous avez dû recevoir Mon cher Oncle des réponces aux trois lettres dont vous me parlez.
Vous me dites que je ne vous dit pas un mot du fracas qu'a fait d'abord l'affaire qui reguarde vôtre ami.
Je vous en ai écri dans le temps par Cristin. J'eu même un si grand effroy pour notre petit ami que je voulais qu'il prit des précautions sur le seul mal qu'on pouvait lui faire. Heureusement elles auraient été bien inutilles, et cela n'a duré qu'un moment. Les anges et moi nous avions encor plus de peur dans ce procès du notaire que des juges. Voilà pourquoi je vous pressais pour une seconde expédition. Ensuite je vous écrivis une lettre de dix pages par mme Cramer sur le même suget.
Vous voulez que je vous mende les résolutions que l'on prand. J'y serais bien embarassée, car je sçais très positivement que l'on en prand point. Il y a très peu de mémoire répandu dans le public. Je ne doute pas que s'il s'en répand davantage on ne le brûle. C'est à mon gré le plus peti malheur qui puisse arriver. Mais on ira pas audelà dans la crainte de donner trop de célébrité à ce mémoir.
Je sens par votre dernière lettre qu'il me serait bien difficile de faire des progets sur mon retour, puisque vous n'êtes pas encor déssidé. J'aimerais bien mieux votre proget de l'incognito. C'est celui là actuelement au quel il faut songer. Je vous écrirai sur cela par Mr Desfranges mais s'il n'a pas lieu l'endroit du monde où j'aimerais le mieux vivre serait sans Contredit Fernex. Vous voulez Mon cher ami que je vous mende mes Conditions. Assurément je n'aurais jamais imaginé d'en faire avec vous mais je prendrai la liberté de répondre à celle que vous me faites.
Vous me dites que vous avez en orreur les laquais de Paris. Cependand il faut bien que j'aie un laquais ainsi qu'une femme de chambre dans la route. Je voudrais de tout mon Coeur que mon sexe, Mon âge, mes forces et mon état me permissent de faire le voiage àpieds avec un peti paquet sur mon dos. Mais vous sentez qu'à pied ou à cheval il me faut bien quel qu'un dans la route. Maton est toujours avec moi. Cependand si je part je ne l'enmenerai pas. Elle a ici son mari et ses enfans qu'elle ne pourait pas abbandonner. Pour lors je prandrais Aguate qui ne demenderait pas mieux que de venir. Je l'ai plassé chez une de mes parantes qui me la saidera quand j'en aurai besoin. Je suis persuadée Mon cher ami que la femme de chambre qui demeure chez vous est exelante, mais elle est accoutumée à servir un geune homme, et il y a une furieuse différance de la Condition d'un geune homme à celle d'une vieille femme. Vous santez que cela ne serait n'y honest n'y fesable. A l'éguard du Coché comment pourai je m'en passer? Vous me dites que non seulement il n'y aura plus de faites mais que je n'aurai aucune société. Je serais assurément bien fâchée d'attirer chez vous un seul être pensant si cela vous déplait. Mais c'est une raison pour que je puisse en aller chercher quelque fois. Je contrais mener à Fernex une vie toute opposée à celle que j'y menais, c'est à dire que je sortirais souvant et que je n'attirerais personne chez vous, puisque cela vous déplait. Vous aimez la solitude. J'irais me délasser chez une douzene de personne que je connais et que j'aime. Lors que vous voudriez de moi assurément vous auriez toujours sur eux la préférence, et je serais trop heureuse de vous voir et de vous entendre.
Je vous demandrais la grâce de ne me point meller de votre ménage; d'avoir simplement à moi mes trois domestiques et mes deux chevaux; mon laquais pour faire mon appartement, pour le froter, pour me servir et pour monter derière le carosse; ma femme de chambre; et mon coché pour me trainer. Il me semble mon cher ami que ces choses là ne sont pas coûteuse dans une terre et que trois domestiques ne sont pas trop pour une femme de mon âge. Mendez moi ce que vous pensez, mais soiez sûr que vous m'êtes plus cher que ma vie.