à Francfort 20 juin [1753] à dix heures du soir
Madame,
Que la compassion de Votre Altesse Royale s'émeuve, et que votre bonté nous protège; made Denis ma nièce qui avait fait le voiage de Francfort pour venir me consoler, qui comptait venir se jetter à vos pieds avec moy pour implorer votre médiation; une femme respectée et honorée dans Paris, vient d'être conduitte en prison par le commis de M. Freitag, résident de sa majesté le roy votre frère.
Cet homme vient de la traîner au nom du Roy au milieu de la populace dans la même maison où l'on m'a fait transférer, on luy a ôté sa femme de chambre et ses laquais, quatre soldats sont à sa porte, le commis passe la nuit dans sa chambre.
En voicy la raison.
Lors que Mr Fretag m'arrêta au nom du Roy le premier juin, je luy remis touttes les lettres que j'avais pu conserver de sa majesté. Il me demanda le volume des poésies du Roy. Il était dans une caisse qui devait partir de Leipzik pour Hambourg. Monsieur Freitag me signa deux billet conçus en ces termes:
Sitôt le grand ballot sera revenu et l'œuvre de poésie que le roy
redemande rendu à moy, vous pourez partir où bon vous semblera.
Le livre en question arriva le 17 au soir, j'ay voulu partir aujourduy 20, ayant satisfait à tous mes engagements. On a arrêté mon secrétaire, ma nièce et moy. Nous avons douze soldats aux portes de nos chambres. Ma nièce à l'heure que j'écris est dans les convulsions. Nous sommes persuadez que le Roy n'aprouvera pas cette horrible violence.
Daignez madame luy envoyer cette lettre. Daignez l'assurer qu'au milieu d'un malheur si inoui je mourray plein de la même vénération et du même attachement pour sa personne. Je luy demande encor très humblement pardon de mes fautes. J'avais toujours pensé qu'il daignerait permettre que je tâchasse de me deffendre contre Maupertuis, mais si cela luy déplait il n'en sera plus jamais question. Encor une fois madame jamais mon coeur n'a manqué, ny ne manquera au Roy, et il sera toujours rempli pour votre altesse royale du respect le plus profond et le plus tendre.
Hélas c'était autrefois frère Voltaire