1753-06-21, de Marie Louise Denis à Frederick II, king of Prussia.

La dame Denis, veuve d'un officier du Régiment de Champagne, au service de sa Mjté Très chrétne, implore la justice de sa Mjté.

La dame Denis ayant fait le voyage de Paris à Francfort sur Mein avec la permission du Roy de France, son maitre, pour conduire aux eaux de Plombieres son oncle, attaqué d'une maladie mortelle, a été arrêtée à Francfort le 20 juin sur les 10 heures du soir, par le sr Dorn, secrétaire du sr Freydag, Résident de sa Mjté le Roy de Pr., dans l'auberge du Lion d'or, conduite à pied à travers la populace. On lui a ôté sa femme de Chambre, ses laquais; on a mis quatre soldats à sa porte; et le sr Dorn a eu l'insolence de rester seul dans sa chambre pendant toute la nuit. Elle est encore prisonnière, et a été deux jours dans un Etat où l'on désespéroit de sa vie.

Elle espère que sa Mjté le Roy de Prusse aura quelque pitié d'une étrangère traittée si cruellement en son nom sacré qui ne fait attendre que de la bonté et de la clémence.

Le prétexte de cette violence atroce comise par les srs Freydag et Schmidt, l'un résident de sa Mjté prussne, l'autre marchand de Francfort et Cer de sa de Mjté, est que le sr de Voltaire n'étoit pas encore en droit de partir de Francfort. Mais qu'a de comun ce départ avec la violence atroce exercée contre une Dame, qui n'a d'autre crime, que d'avoir fait 200 lieues pour remplir les devoirs de la nature et de l'amitié? On la met en prison, elle et son oncle qui est mourrant, et cela parce que son oncle a voulu prendre le chemin des eaux de Plombieres le 20 juin. Il étoit arrêté, il est vrai, par le sr Freydag dès le 1er juin: mais c'étoit seulement jusqu'au jour où le livre des poësies imprimées de sa Mjté le Roy de Prusse, seroit remis au sr Freydag. Le sr Freydag avoit signé ce billet au nom du Roy son maître:

‘Monsieur, sitôt le grand ballot où est l'oeuvre de poësie que sa Mjté redemande, sera ici, et l'oeuvre de poésie rendu à moi, vous pourrés partir où bon vous semblera.
Freydag, résident
Francfort, 1er juin.’

Le ballot et le livre en question étant revenus le 17 juin, et remis aux mains du sr Freydag, le sr de Voltaire ayant remplis tous ses engagemens, s'étoit cru en droit de partir et d'aller chercher les secours nécessaires à sa mauvaise santé. Sa nièce devoit partir quelques jours après avec tous ses effets qu'il laissoit en dépôt. Il n'avoit jamais promis de rester passé le moment où ce livre des poésies de sa Mjté seroit revenu. Si les srs Freydag et Schmidt pour s'excuser, disent qu'il avoit donné sa parole de rester encore, rien n'est plus faux ni moins naturel. Il est évident que s'ils avoient voulu exiger de lui qu'il demeurât encore prisonnier sur sa parole, ils auroient demandé une parole par écrit, comme le sr Freydag avoit fait le 1er juin.

Sa Mjté verra aisément l'innocence et le malheur des supliants par la démarche du sr Freydag, qui est venu exiger le 21 à deux heures après midi un écrit, par lequel les prisonniers promettoient de ne jamais parler à personne de ce qui s'est passé.

Les prisonniers détenus si cruellement au nom de sa Mjté, font serment que tout ce qu'ils avancent est véritable, et supriment des violences qui exciteroient trop d'indignation. Ils espèrent tout de l'Equité de sa Mjté.