1753-06-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Venerable council of Frankfurt am Main.

A Leurs Excellences,

Le vénérable Magistrat saura que le nommé Dorn, qui de sa seule autorité arrêta et traîna dans les rues Madame Denis le 20 Juin, et qui a commis toutes les violences subséquentes, vint le 25 dans la prison du sieur de Voltaire, et dit à l'interprète nommé Lorrain de la part du sieur Freytag, que ce n'était pas lui qui était l'auteur de ces cruautés, mais que c'était le sieur Schmidt, et que s'il avait suivi son propre sentiment, il aurait laissé partir paisiblement Madame sa nièce, selon les ordres positifs du roi son maître.
En effet le sieur Freytag a reçu ordre de Potsdam le 21 de laisser partir en paix le dit sieur de Voltaire.

Le suppliant demande donc justice au vénérable Magistrat de l'offense et de la violence commise par Schmidt et par Dorn contre Madame Denis, de l'arrêtinjuste et sans aucun prétexte de sa personne, de celle de Madame Denis, de celle de son secrétaire; de l'argent que Schmidt lui a pris, des effets dont il s'est emparé sans aucune raison, sans aucun droit, sans procès verbal, qu'il a rendus sans procès verbal et dans les quels tout ce qui est perdu doit être à la charge du dit Schmidt et de Dorn.

Le suppliant assure encor une fois le vénérable Conseil qu'il n'y a aucun ordre du Roi de Prusse de l'arrêter. Sa Majesté avait seulement ordonné qu'il rendît ses lettres, sa clef, son cordon, et un livre de poësies de sa Majesté et qu'on ne l'arrêtât qu'en cas qu'il fît difficulté d'obéir. Il a obéi en tout, avec la soumission la plus entière et la plus prompte.

Il a rendu sur le champ dès le 1er Juin tout ce qu'il avait. Il a fait revenir le livre de cent lieues le 17 juin, et sa Majesté par la lettre au Sr Freytag reçue le 21 juin, a ordonné au dit sieur Freytag de ne point molester le dit sieur de Voltaire.

Le suppliant proteste donc contre toutes ces violences au nom même de sa Majesté le Roi de Prusse, dont il a été chambellan. Il supplie le vénérable conseil d'instruire sa Majesté de tous ces faits, de lui représenter l'obéissance du sieur de Voltaire, de lui demander ses volontés.

En attendant il supplie le vénérable Magistrat de le tirer de la prison où il est avec des soldats, et d'avoir compassion de l'état de Madame Denis sa nièce, qui ne veut pas le quitter dans sa maladie, et qui est dangereusement malade elle-même dans la même prison. Il demande de retourner sur sa parole au Lyon d'or.

Il se constituera prisonnier sur sa parole, en attendant l'éclaircissement de cette affaire, se réservant le droit de demander satisfaction contre les auteurs de ces violences et implorant la protection de Leurs Excellences.

S'il faut nommer un commissaire pour examiner toute cette affaire et en rendre compte au vénérable Magistrat, le suppliant requiert qu'on nomme Monsieur de Senkenberg, qu'il ne connaît que par sa réputation de science et de droiture

Voltaire chambélan du roy de France