1753-07-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Venerable council of Frankfurt am Main.

Madame Denis, monsieur de Voltaire, Gentil homme de la chambre du Roi de France, et le sieur Cosimo Colini, sujet de sa majesté impériale, jettés ci-devant en prison par les sieurs Freitag et Schmith, implorent encor la justice et l'humanité du vénérable magistrat.

Les sieurs Freitag et Schmith sont aujourd'hui convaincu de n'avoir reçu aucun ordre d'arrêter les supliants, encor moins de leur faire les violences, dont les suppliants demandent réparation.

Le sieur Freitag est convaincu d'avoir soustrait une lettre écrite à madame Denis de la part du Roi de Prusse, ce qui se peut voir par la lettre de Potsdam du 30 Juin, écrite par ordre du Roi de Prusse, et remise au Vénérable Conseil; lettre par laquelle il est dit que le sieur de Voltaire devait être libre dès le moment qu'il aurait remis les effects redemandé par sa majesté Prussienne, effets remis dès le 17 juin.

La Dame Denis, le sieur Cosimo, et lui éspèrent que le vénérable Magistrat rendra justice à des étrangers si cruellement traittés dans une Ville libre impériale: il considérera que le 20 Juin le sieur Schmith ne fit arrêter ces trois personnes innocentes, que sur la parole qu'il donna à monsieur le Bourguemaitre de Fichard, qu'il recevrait le 22 des ordres de sa majesté Prussienne d'arrêter ces trois étrangers. C'est sur cette assurance du sieur Schmith, que les supliants furent conduits en prison de la manière la plus ignominieuse et la plus cruelle. Non seulement ces ordres cruels que Schmith supposait, ne sont point arrivez, mais par la lettre de Potsdam du 30 Juin, remise au vénérable Conseil, le Roi de Prusse donne des ordres tout contraires, et veut expressément que monsieur de Voltaire et madame Denis soient libres: ce sont les propres mots de la lettre.

Ils remontrent que le sieur Schmith à engagé ses biens comme bourgeois de la ville et a répondu en son privé nom de Bourgeois de tous les dommages qui résulteraient de cet emprisonnement injuste.

Ils supplient le vénérable Magistrat de leur communiquer le Pro memoria délivré par les sieurs Freitag et Schmith, suivant le quel ils ont été traittés avec tant de violence. Ils éspèrent que l'honneur de la Ville, le droit des gens, les loix de l'empire engageront les Régents de la Ville de Francfort à réparer ces outrages faits à un officier du Roi de France, et à une Dame voiageant avec des Passe-ports du Roi de France.

Ils demandent justice sur l'argent que le sieur Schmith leur a pris dans leurs poches sans aucune formalité, et que cet argent soit déposé à Ville pour leur être rendu, ils demandent justice sur les frais immenses, dont les sieurs Freitag et Schmith chargent les suppliants, sur les pertes considérables que cet emprisonnement leur cause; ils ne cesseront d'implorer le secours des loix. Suppliant surtout le vénérable magistrat de leur délivrer copie du Pro memoria de ceux qui les ont traittés d'une manière si injuste et si criante, demandant qu'il leur soit libre de partir et attendant dans quelque pays qu'ils soient la réparation qu'ils espèrent de l'équité et de l'honneur du vénérable conseil.

Voltaire