1763-08-28, de Marie Louise Denis à Louis XV, king of France.

Sire,

Jacob De Budé, colonel au service de Hollande, Jaques Pictet, colonel au service du Roi de Sardaigne, et Marie Louïse Mignot, veuve de Nicolas Charles Denis, capitaine au régiment de Champagne, Commissaire ordonnateur des troupes de Vôtre Majesté etca Demandent très humblement pour toute grâce à vôtre Majesté, qu'elle daigne demeurer juge en son conseil du droit que les supliants réclament.
Ce droit est celui de toutes les terres du païs de Gex, dont les seigneurs ont toujours été en possession des dixmes.

Il s'agit, Sire, d'une terre seigneuriale, nommée Ferney, qui passa de la main des Ducs de Savoye à celle des seigneurs de Berne.

Les seigneurs de Berne vendirent cette terre et ses dixmes, en 1542. Elle tomba ensuite dans la maison de Budé, qui l'a vendue en 1759, à la Dame Denis, et Vôtre Majesté, par un brevet du 28e May 1759, a maintenu la Dame Denis dans tous les privilèges de cette terre, dont l'acquisition eût pu lui être très onèreuse sans cette grâce.

Ces privilèges sont fondés,

1º sur le traitté de Lausanne en 1564 fait entre les Ducs de Savoye et le canton de Berne, sous la médiation du Roy Charles 9. Il y est dit, Que les ventes faites subsisteront, quelques choses, et quelques biens qu'elles puissent concerner, sans en rechercher le premier état.

Or les seigneurs de Berne avaient vendu toutes les dixmes à tous les différents seigneurs du païs de Gex, qui demeurèrent sans difficulté en possession de ces dixmes qui avaient apartenu autrefois aux Ducs de Savoye.

2º sur le traitté de Lyon conclu en 1601, entre Henri le grand et Charles Emmanuel, Duc de Savoye, qui céda le païs de Gex à Henri le grand. Le 12e article porte, Que pour le regard des ventes et aliénations faites à titres onéreux, sa Majesté y sera obligée, tout ainsi que le Duc y avait été tenu.

3º sur le traitté d'alliance conclu à Arau en Juin 1658 entre le feu Roi et les Cantons, portant, Que tous les abergements et aliénations faites par la ville et canton de Berne, des biens Ecclésiastiques et autres dans le païs de Gex subsisteraient; que le Roy voulait qu'ils demeurassent en force et vigueur, et que les possesseurs ne fussent au préjudice d'iceux en aucune façon inquiétés ni molestés, conformément aux traittés faits en 1564 entre le Duc de Savoye, et la dite ville et canton de Berne, par la médiation et ratification du Roi Charles 9 e t de plus entre le Roy Henri 4, nôtre ayeul, et Charles Emmanuel, Duc de Savoye, en 1601.

4º sur les lettres du feu Roi au conseil de Genêve, l'une du 17e Juin 1642, l'autre du 30e May 1643, portant toutes deux, Que sa Majesté ne souffrira pas que les causes concernant les dixmes du païs de Gex soient portées ailleurs que devant elle en son conseil.

5º sur l'arrêt du conseil privé du Roi du 12e avril 1657 qui évoque à lui la cause de François Lullin, attaqué pour la possession de ces dixmes, et fait deffense au Parlement d'en connaître.

6º sur l'arrêt du Conseil de 1663 du 16e Novembre, confirmatif de tous ceux qui évoquent au conseil toutes les causes concernant les dixmes du païs de Gex.

7º sur l'arrêt du 25e juin 1756, qui évoque à lui la cause instante des supliants Jacob de Budé et Charles Pictet, et par conséquent celle de la Dame Denis, contre le sr Gros, curé de Ferney, lequel possédant dans la paroisse, plus de terres que le seigneur, et y aiant même des fiefs, demande encor les dixmes, transmises aux seigneurs de temps immémorial.

Le dit curé, comblé d'ailleurs de biens par la Dame Denis, et sçachant que les srs De Budé et Pictet étaient dans les païs étrangers, a surpris contre les supliants, il y a quelques mois, un arrêt du conseil de sa Majesté, par défaut, lequel renvoie les parties au parlement de Dijon.

Les supliants représentent très humblement à sa Majesté, qu'elle est seule juge et interprête de ses traittés et de ses grâces.

Que le parlement de Dijon n'en peut juger, puisqu'il ne les connait pas, et qu'il ne juge que sur le droit commun.

Que si les seigneurs de Ferney se soumettent au jugement de sa Majesté, un curé doit s'y soumettre aussi, et qu'il ne peut décliner sa justice.

Qu'ils demandent à revenir contre l'arrêt obtenu par défaut, arrêt longtemps caché à la Dame Denis, et qui ne lui a été signifié qu'au bout de plus de six mois.

Cette surprise est nonseulement faite aux supliants, mais à sa Majesté même, et à ses ministres, seuls juges de cette affaire, dans laquelle sont intervenus le conseil de Berne, et en dernier lieu la République de Genêve, comme parties intéressées. Sa Majesté aiant évoque le dit procez à son conseil, sur les remontrances du canton de Berne; et Monsieur Le Duc De Praslin aiant été suplié par la République de Genêve, de maintenir le traitté d'Arau en cette partie comme dans tout le reste.

de Budé Denis Pictet