Paris, ce 6 Juillet 1765
Monsieur
J'entrai lundi à huit heures du matin chés Mr de Calonne, quoi qu'il ait été se loger à trois quart de lieue de moi, aussi je le trouvai, et nous eûmes la dernière conférence nécessaire avant son raport.
Je fis la revue du sac, et supléai les pièces perdues, par les doubles que j'avois. Je lui parlai de notre embarras au sujet de la récolte, parce que nous n'avions formé, ni dû former opposition aux Arrêts rendus par défaut à Dijon. Il m'assura que je ne devois avoir aucun scrupule là dessus, le toutes choses demeurant en état remettant certainement les parties au point où elles étoient avant la première assignation. Il ajouta, que, si l'on avoit évoqué, le Parlement eût pu se fâcher…. Il ne me fut pas difficile de voir que Mr Fontette lui avoit parlé. Je le lui dis, il en convint, et m'avoua même que ce Conseiller lui avoit demandé une conférence avant qu'il raportât. Je répondis, que, sans voir l'intérêt que pouvoit prendre aujourd'hui Mr Fontette dans cette affaire, je le priois de se souvenir que les principes de ce Membre du Parlement étoient si outrés, et même si faux, sur tout ce qui tenoit aux prérogatives de Corps, que, non seulement ils avoient paru absurdes à Mr de Praslin et à tous nous qui l'avions entendu, mais qu'ils avoient été désavoués par Mr de la Marche son Chef.
Nous discutâmes le fond. Mr de Calonne fit des objections. Voici la plus forte. L'on m'a dit, qu'en maintenant les aliénations faites par Mrs de Berne pendant qu'ils étoient maitres du pays, dont ils paroissent avoir stipulé la stabilité par le Traité, il vous incomboit toujours de fournir la datte de l'aliénation, et qu'elle a été faite par Mrs de Berne, parce qu'on prétend que vous aviés usurpé ces dixmes, à la faveur des troubles, et bien avant la conquête. Or vous sentés bien que le traité ne peut avoir validé les usurpations ou aliénations antérieures, et faites par d'autres que Mrs de Berne.
Voici encor du Fontette, disje à Mr de Calonne (qui en convint par un souris) et bien, voici ma réponse.
La datte de notre aliénation est celle du traité que nous fimes à ce sujet, 1736, et c'est avec Berne que nous traitâmes. Après ce peu de mots, je m'arrêtai tout court. Le silence de Mr de Calonne pendant deux minutes fut celui d'un homme frapé de l'évidence: Il en sortit, en disant, Cela est bon pour vous, mais les autres…. Je ne sais comment ils s'en tireront, car c'est là le noeud de toute la question. Je pense, lui disje, qu'ils vous satisferont sur ce point, mais, comme je n'ai pas voulu permettre qu'ils parlassent pour la République, je dois laisser à Mr Mariette la défense entière de sa Cause.
Je le supliai, à cette occasion, de lui donner une Audience, et le pressai si fort, que, malgré ses occupations, il la fixa à Lundi prochain. J'en ai averti Mr Mariette, et de l'objection à la quelle il devoit se préparer. Il n'a point la datte de l'aliénation de la dixme de Fernex, et va demander par ce Courrier des éclaircissemens à Mr de Voltaire. Le Conseil voit que si j'ai séparé notre affaire de la sienne, pour que la République n'en souffrit pas. Je les ai aidés d'ailleurs en tout ce que j'ai pu.
Mr de Calonne me dit que son raport se feroit au Conseil des Dépêches, et qu'il comptoit le faire à Compiegne. Je lui dis que je n'y mettois aucune opposition. Aiés donc la bonté, me dit il, de voir Mr d'Aguesseau, de lui demander le bureau pour Compiegne, je le lui demanderai de mon côté, et lui dirai que je suis prêt. J'alai effectivement avant hier chés Mr d'Aguesseau, mais je ne le trouvai pas, parce qu'il ne revient de Fresne que pour les Conseils; je lui rendis dans une lettre ce dont Mr de Calonne m'avoit chargé. Je désire fort, si l'on nous juge à Compiegne, que Mr Gilbert de Voisins, vieux et infirme, trouve ce voyage trop grand pour lui, quoi qu'en général, je persistes à bien augurer de notre affaire. Mais je sais qu'il nous est contraire.
Je ne dois pas oublier de dire que les Curés ont pressé à Dijon, et obtenu un Arrêt, mais Mr de la Marche en étant informé, a mis l'Arrêt en poche, et défendu qu'il fût levé, ni expédié. Cela montre cependant que si l'on différoit trop de nous juger, le Parlement de Dijon iroit peut être son chemin. J'ai l'honneur d'être
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Crommelin