1764-11-22, de Jean Pierre Crommelin à Pierre Lullin.

Monsieur,

J'ai bien reçu vos lettres du 6 8bre et 14 9bre et vous remercie des détails dans lesquels vous avés eu la bonté d'entrer au sujet de Mr Tiepolo. L'Ambassadeur de Venise m'écrivit une belle lettre de Fontainebleau, et, encor Mardi, me répéta combien le sénat avoit été sensible aux marques de distinction accordées à son Ambassadeur, que ç'étoit une suite de la bonne amitié qui avoit toujours subsisté entre les deux Républiques, et dont la sienne s'empresseroit à donner des témoignages dans toutes les occasions &c. &c.

Mr le Duc de Praslin ne m'a point reparlé de la réquisition qu'il avoit fait pour qu'on ne reçût pas à Geneve les François Catholiques sans passeport.

L'on avoit espéré devoir terminer à Fontainebleau l'affaire de l'affranchissement du pays de Gex, mais les opérations méditées par le Contrôleur Gal ont tout suspendu, ce qui tient au croc la nôtre pour la liberté des passagesl Je me flatte, qu'en attendant, le commis de Meyrin ne tracasse personne, s'il en étoit autrement, il faudroit me l'écrire, car rien ne me seroit si aisé que de lui faire donner des ordres provisoires.

Mr de Voltaire a envoié à Mr de Praslin la copie des Articles demandés par les habitans du pays de Gex à Henri quatre, sa réponse, Lettres Patentes et enregistrement. Le Ministre me les a fait remettre ainsi que la lettre de Mr de Voltaire. Il y dit qu'il faut que cette pièce eût été ignorée, sans quoi, il n'y eût pas eu de procès. Il se trompe, vous en avés fait usage, Monsieur, dans vos Mémoires. L'Auteur du procès y a même répondu, mal et foiblement, à la vérité. Mr Fontette, malgré sa promesse, n'a point paru à Fontainebleau. J'apris il y a huit jours qu'il étoit de retour de Dijon, et à Paris, j'en fis sur le champ donner avis à Mr de Praslin, pour qu'il le fit chercher, s'il désiroit de le voir: Effectivement, Mardi, à Versailles, S. E. me dit, j'ai vu Mr Fontette, la Cause a été renvoiée, et sur le fond de l'affaire, je l'ai trouvé plus raisonnable. Je lui ai dit que le Droit Civil devoit, dans cette occasion, le céder au Droit Public, qui forçoit d'y déroger, et que le Roi ne pourroit point permettre que le Parlement jugeât, en suivant sa Jurisprudence, d'une manière contraire aux Traités publics. Mr Fontette m'a proposé de les faire enregistrer, mais je ne trouve pas naturel d'aler, pour un cas particulier, leur porter des Traités faits il y a 200 ans. Que vous en semble? Je lui répondis, Cela me paroit d'autant moins naturel, que le Traité premier est entre deux Puissances Etrangères; c'est cela, me dit S. E. Je crois effectivement que le plus simple est de leur donner les lettres Patentes, mais, comme cependant il faut agir par voie de conciliation, aiés la bonté de faire un Mémoire que vous me remettrés, je le donnerai à Mr de Fresne, qui le fera passer à Dijon. Je lui dis que nous avions tout expliqué dans nos Mémoires, dont le nouveau ne pourroit être qu'une répétition. N'importe, dit Mr de Praslin, il en faut un dans la vüe de convaincre le Parlement qu'il ne peut être juge, il faut copier les articles même des Traités, parce qu'il est nécessaire de les éclairer. A présent, ajouta t'il, voions ces lettres d'Henri quatre, que Mr de Voltaire m'a envoiées, nous les lûmes en entier. Mais, me dit S. E. voilà une pièce toute favorable au Parlement, pour être Juge. J'avois bien prévu que l'on pourroit en tirer cette conséquence, et vous pourrés vous rapeler, Monsieur, que, par cette raison, j'ai conté sur cet entérinement au Parl. de Dijon, dans les Mémoires que j'ai présenté. Cependant je répondis à Mr de Praslin, que ces Cahiers et lettres Patentes ne faisant que raporter le résultat des Traités, sans soumettre le Traité même à la connoissance du Parlement, cela montroit le peu de nécessité qu'il y avoit de le faire aujourd'hui, que le Roi ne pouvoit faire que ce que fit Henri quatre, déclarer au Parlement que tel Traité lui imposant telle obligation, il ordonne et que le Parlement ne pourra faire que ce qu'il fit alors, enregistrer. S. E. parut satisfaite de la réponse, mais persista à vouloir un nouveau Mémoire.

Dès que j'avois été informé de l'arrivée de Mr Fontette à Paris, je priai Mr de Ste Palaie, un de mes amis et des siens, de me faire diner avec lui, mais sans dire à Mr Fontette que je l'eusse demandé. Le diner eut lieu hier, nous causâmes de très bonne amitié. Il me dit que le 1er Président ne seroit pas le maitre de refuser bien longtems Audience, qu'ainsi il faloit se presser. Qu'il avoit demandé à Mr de Praslin un Mémoire, un peu ample, où les articles des Traités lettre Annexe, Arrêt de 1635 et autres fussent copiés en entier, et insérés comme pièces justificatives &c. Aiés donc la bonté de m'en envoier un fait sur ce plan le plutôt que vous pourrés. J'ai l'honneur d'être, Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur
Crommelin

P. S. Si votre paquet est gros, aiés la bonté de l'adresser à Mr de Sainte Foy 1er commis des Affaires Etrangères, avec une seconde envelope à mon adresse.