1761-03-20, de Marie Louise Denis à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Je m'aquite Madame de la comition que vous avez bien voulu me donner.
Pardonnez moi si j'ai tardé si longtemps. Mais ma lettre a eû de la peine à joindre Mr de Florian, qui est actuelement chez Mme de Fontaine au château d'Ornois en Picardie. Il m'envoie ce mémoir Madame, il me charge d'avoir l'honneur de vous le faire tennir.

Si vous voulez avoir la bonté de lui remettre cet argeant, il suffira de faire prendre une lettre de change à Viene à l'ordre de Mr de Florian sur Mr Tourton, banquier à Paris.

Voilà ma comition faite. J'ai une affaire bien plus sérieuse auprès de vous, vous devez me trouver la plus négligente et la plus ingrate de toutes les femmes. Je vous adore cependand, et je voudrais encor vous faire ma cour, dusai'je aller vous joindre (comme Rousseau) à quatre pates pour optennir mon pardon. Songez Madame que j'ai été presque toujours Malade, que je n'ai pas douté que vous n'aimassiez mille fois mieux les lettres de mon Oncle que les mienes (quoi que je sois bien persuadée de vos bontez pour moi), qu'il m'avait promis de vous dire l'état où j'étais, qu'il n'en a rien fait, et que je suis désollée d'avoir mérité votre collère. Cependand Madame il faut me pardonner, nom pas par ce que nous sommes dans le temps de pasque, je ne veux point être aimée de vous pour l'amour de dieu, mais par ce que je connais la grandeur de votre âme, la bonté de votre coeur, votre mérite, et tout les agrémens de votre esprit.

Avez vous lu à Viene un roman en six volumes nomé Juliede Gean Jaque Rousseau? Il a fait du bruit à Paris. On en a dit beaucoup de bien et beaucoup de mal. Il n'a pas plu aux Delices. Les principaux événemens de ce roman ce passent en Suisse. Vous n'avez pas trouvé le lieu de la scène agréable, nous n'avons pas trouvé non plus le héros et l'éroine plus aimables, cependand il y a de temps en temps des choses fortes et bien écrites. Mr le marquis de Ximenes, homme d'esprit qui est venu de Paris nous voir, a fait une critique de ce roman en quatre lettres adressées à Mon oncle qui sont très plaisentes. Si on lit le roman à Viene Madame, et que vous soiez curieuse des quatre lettres, mendez moi comment je peux vous les envoier. J'y joindrais une épitre en vers sur l'agriculture que mon Oncle a bien voulu m'adresser. Elle est très agréable.

Nous avons depuis trois mois avec nous une geune personne qui se trouve être le seul regeton qui reste du grand Corneille. Mon Oncle en prand soin, elle est d'un caractère aimable. Cependand je ne peux pas vous répondre Madame qu'elle fasse jamais le pendand de Cinna, mais il est beau à mon Oncle de retirer de la misère une geune fille qui est demoiselle et qui porte un si beau nom.

Toutte réflexion faite je joins à cette lettre l'épitre en vers dont j'ai l'honneur de vous parler. J'espère que ce sera un moien d'optennir mon pardon. Nous avions souvant de vos lettres Madame lors qu'il était question de nouvelles intéressentes et heureuse, mais croiez qu'il n'en est point pour nous de plus agréables que d'apprendre des vôtres, que vous êtes honorez et aimez aux Delices ou au château de Fernex comme vous devez l'être, et que je ne me consolerais pas si je perdais l'espérence d'avoir l'honneur de vous y recevoir un jour. C'est pour lors que nous vous préparerions des Comédies. Les nièces de Mr de Voltaire et de Corneille feroient de nouveaux efforts pour vous plaire, et pour vous renouveler le tendre et respectueux attachement avec le quel j'ai l'honneur d'être

Madame

Votre très humble et très obbéissente servente

Denis

Les quatre lettres du marquis de Ximenes feroient un trop gros volume par la poste et je n'ose les joindre à celle ci.