1759-04-06, de Marie Louise Denis à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Vous êtes toujours aimable Madame dans tous les les temps et dans tous les lieux, vous n'oubliez point vos amis et vous me faites une galentrie charmente.
J'ai reçu le joli petit Atelas alment, je vais connaitre l'Alemagne comme les Délices, et j'aurai sans cesse le plaisir de m'occuper d'un livre qui vient de vous.

J'ai adressé à Mr Ropff, banquier à Augsbourg, un peti paquet pour vous qui comtient des dessus de souliers. J'ai pris les précautions nécessaires pour qu'il lui parvienne sûrement.

Nous désirons fort mon Oncle et moi d'avoir de vos nouvelles. Que faites vous? comment vont vos affaires? êtes vous Contante Madame? Tout ce qui vous touche nous intéresse, et vous n'avez point d'amie qui vous soit si tendrement attachée que moi. Votre esprit, votre franchise et vos bontez, m'ont fait une impression qui ne s'effacera jamais.

On assure toujours que le roy de Naple et le roy de France ce rendront à Lion, on fait de grands préparatifs dans cette ville. Le temps de ce voiage n'est pas encor fixé, on attand la mort du roy d'Espagne qu'on présume devoir être très prochaine. On croit le traité signé entre ces deux puissances, je le souhaite s'il peut acsélérer la paix.

On va sans doute s'égorger encor tout l'hété. Que les hommes sont méchans! Pendant ce temps mon Oncle seime, recoeuile, bâtit et fait mieux encor car tout ce qu'il écrit est plus agréable que jamais. Le roy de Prusse lui a demendé une ode sur la mort de sa soeur. Il ne pouvait la lui refuser sans ingratitude, Mme la Markgrave de Bareith a toujours eu pour lui une amitié constante même dans le temps où son frère était le plus injuste. J'espère que vous en serez contante.

Avez vous lu Madame une plaisanterie qu'on a attribué fort injustement à Mon Oncle? c'est un peti Roman nommé Candide. Mendez moi ce que vous en pensez, il me semble que c'est une débauche d'imagination très plaisante. Les gésuites n'y sont pas trop bien traités. Que pence t'on à Viene de l'affaire de Portugal? crois t'on qu'ils soient coupables? S'ils le sont comme plusieurs papiers de Lisbonne l'assurent, il est bien étonnant qu'il n'y en ait point encor d'exécutés. On va rechercher à Paris de vieilles histoires contre heux, toutes très apocriphes et s'il y avait une façon de les justifier ce serait par l'ecsès de calomnie dont on les accable. Cependand j'ai peine à croire qu'ils ne soient point entrés dans la conspiration, cet Ordre de tout temps a été bien dangereux, et l'affaire du Paraguai doit enfin éclairer les souverins.

Je vous écris actuelement dans ce vilain château où mon Oncle vous mena une fois, situé en Fra[n]ce, nommé Fernex, et que mon Oncle a acheté. Il vient de le mettre à bas et en bâtit un qui sera assez agréable. Nous nous sommes pratiqué un petit logement tout au près pour voir de temps en temps nos ouvriers. Ma soeur et Florian sont partis, pour Paris, il y a environ huit jours. Je commensais à sentir le prix du temps et à le regreter. Je vais me remettre à barbouiller du papier, nom pas pour le plaisir des autres, je n'ai pas assez d'amour propre pour le croire, mais pour mon amusement. Lors que vos affaires seront terminées et que l'Europe sera paisible vous savez Madame que vous vous êtes engagé à faire un peti voiage à Paris. Il faudra bien revoir cette Lauraine où vous êtes tant aimée et revoir en passant vos deux suisses. Nous fesons une belle salle de théâtre où j'ai un grand désir de vous voir jouer une tragédie. Savez vous que Mlle Clairon veut aller en Russie et qu'on lui offre dans ce païs là quarante mille franc d'apointemens? Cependand j'espère qu'elle ne les acceptera pas.

Adieu Ma belle dame, n'oubliez point une femme qui connais votre coeur et votre esprit, aimez toujours Marie Therese, elle est digne de vos sentimens et de votre admiration et l'idée que vous m'en avez donné me fait croire que la paix serait faites demain siles coeurs des belligérans étoient faits comme le sien.

Que ne puis je vous dire le bonheur que je sens de vous avoir connue, et le regret que j'ai de vous avoir perdue? Disposez de moi, vous avez mon coeur, vous m'avez subjuguée, mes sentimens Madame seront pour vous inaltérables. Un peti mot d'amitié de votre part sera pour moi le plaisir le plus sencible.

Denis