ce 7 juen [1758] des Délices
J'ai le plaisir de lire souvant de vos lettres, Monsieur, mon oncle m'assure qu'il vous dit des choses bien tendres pour moi dans ses réponces.
Cependand je me lasse de ne jamais causer avec vous et Madame Dargental, qui aurait bien mieux fait de venir consulter Tronchain que d'aller aux eaux. Mon oncle me fait espérer que vous viendrez peut être à Lion, nous en serions comblés de joie, nos Délices redoubleraient d'agrément si nous avions le bonheur de vous y posséder. Ce n'est point Paris que nous regretons, c'est vous et Madame Dargental, et je ne le cède point à mon oncle en sentimens et en amitié pour vous deux.
Nous vous avons envoié un portret dont je vous demende bien pardon. Mettez le au grenier. C'est bien malgré moi qu'il vous est parvenu. Je craignais que vous ne jujassiez notre pais par cet échantillon. Heureusement Liotar, peintre que vous avez vu abillé en turque à Paris, c'est retiré à Geneves, sa patrie, et va peindre mon oncle la semaine prochaine. Ma soeur emportera le portret et en fera faire des copies en huile à Paris. Cet homme atrape la ressemblance à merveille. J'espère que vous reconnoitrai votre ami quand il sera tracé de sa main. Je ne sçai pour quoi mon oncle ne vous envoie pas Fanime. Quand veut il faire? Quoi qu'elle ne soit pas de la force de l'Orphelin, par ce que le suget est bien inférieur à l'autre, il me semble que cette pièce doit faire grand plaisir sur tout jouée par une actrice comme mlle Cleron. On dit qu'elle est audessus de toutte idée. Vous lui demendez des changemens, et il n'est plus sur cela aussi facile qu'autrefois. Cependand je fais de mon mieux pour l'y déterminer, et pour qu'il vous donne la pièce au plus tos. Lors que vous l'aurez une fois, vous la mettrez au théâtre quand vous le jugerez à propos. Nous ne revenons point ici des grands succès d'Iphigenie et d'Astarbée. Le public n'est pas difficile.
Nous comptons faire un tour à Lauzane le mois prochain avec Mme de Fontaine. Nous lui jouerons Fanime affin de remettre en goût mon oncle et de l'engager à vous l'envoier. Comme nous l'avons déjà représantée plusieurs fois, je crains qu'on ne l'ait copiés sur nos représantations et il serait triste qu'elle parût imprimée sans avoir été donnée aux françois. Ainsi Monsieur je vous suplie de vous joindre à moi dans vos lettres pour l'engager à vous l'envoier au plus tos.
Nous avons actuelement une comédie à Carouge peti vilage de Savoie à un car de lieue de Geneve, qui [est] très bonne pour une troupe de province. Ils font u[n] argeant imence. Ils ont un valet nommé Duranci exelant et très digne du théâtre français. Mon on[cle y] va rarement par ce qu'on ne peut le résoudre à quiter de vue son jardin qu'il aime passionément. Je voudrais qu'il fût à deux lieux de Paris. Malgré votre indiférence pour la campagne je me flate que vous vienderiez nous y chercher. Tous les païs seroient égaux sans la privation de ses anciens amis qui est affreuse. Vous nous la faite sentir Monsieur, personne n'aiant l'honneur d'être plus véritablement que moi
Monsieur
Votre très humble et très obbéissente servente
Denis