1757-11-04, de Marie Louise Denis à Henri Louis Lekain.

Il y a un siècle Monsieur que je ne vous ai écrit.
Je suis une paresseuse mais je ne vous en aime pas moins. Tous les gens qui vienent de Paris m'enchantent en me disant que la perfection de votre jeu fait toujours de nouvaux progrès. Je reconnois aux louanges que l'on vous donne le vrais talent. Il est sans borne.

J'espère que je jouirai encor du plaisir de vous entendre. En attendant nous nous amusons à jouer la comédie. Mon Oncle qui n'a point encor vu l'orphelin nous demende cette pièce. Il faut être habillée à la chinoise et je n'ai nule hidée de cet habit. J'ai recours à vous en vous priant de me faire habiller et couaifer une poupée précisément Conforme à la façon dont mlle Cleron est vêtue dans ce rôle. Je ne me soussie pas de la nature des étoffes dont sera l'habit de la poupée. Il faut le faire de tafetas avec des résaux faux affin qu'elle coûte moins, mais il faudra me faire un détail par écrit des étoffes et des Couleurs que mlle Cleron a emploiée à chaque pièce de l'abillement que je reconnoitrai parfaitement sur la poupée. Je ferai venir mes étoffes de Lion et nous avons à Geneve une manufacture de résau d'or et d'argeant où je prendrai ceux dont j'aurai besoin. La grande question est que la poupée soit exactement coiffée et habillée. Quoi que mlle Cleron soit sans panier je ne doute pas qu'elle n'ait quelque chose pour soutenir ses jupes. Il faut que la poupée ait ce quel que chose que j'ignore, et je prie qu'on mette à cette poupée des perles partout où il faudra des diamans soit sur l'habit ou dans la Couefure ou au Col. J'en ai de toute espesse que je ferai ajuster sur moi comme seront placée les perles de la poupée. J'ose espérer que mlle Cleron voudra bien nous aider de ses Conseils, elle a eu la politesse de l'offrir à ma soeur. Je vous prie de lui en faire mes remercimens et de lui dire qu'une des choses qui me fait le plus regreter Paris c'est la privation de l'entendre. On ne parle que de la perfection où elle est parvenue, on dit ce Rôle déclamé divin dans sa bouche. Pour moi je le baigaierai mais nous nous amusons et voilà le grand point.

Mon Oncle jouera Zameti. Il faut aussi Monsieur nous envoier un manequin habillé et Coifé pour Zameti. Ne vous embarasser pas nom plus de la calité des étoffes pour l'habit de ce manequin vous nous les expliquerai par écrit et nous les ferons venir de Lion. Surtout n'oubliez pas de Couefer ce manequin comme vous voudrez que Mon Oncle le soit. Quand ces deux poupées seront preste je vous prie de les envoier chez mr Denis auditeur des contes rue Monmartre vis à vis la petite porte St Ustache avec le petit mémoir qui vous sera remboursée par lui sur le chant. Pardon Monsieur de toutes les peines que je vous donne mais je Connais votre amitié pour nous. Je voudrais pouvoir à mon tour vous marquer ma reconnoissence et le désir que nous avons mon Oncle et moi de vous savoir heureux Comme vous le méritez.

Mr le marquis Darmanche qui sert en Holande et qui les hyvers est un de nos principaux acteur doit aller dans le mois de dessembre faire un peti tour à Paris. Il a grande envie de vous Connoitre. Je lui écris pour lui dire que je suis sûre que vous aurez autant de plaisir à le voir qu'il en aura à vous entendre. C'est un homme de beaucoup d'esprit et qui a le goût assez fin pour sentir tout ce que vous valez. Il a beaucoup de talent pour le théâtre, il a joué Orosmane très bien pour un homme dont ce n'est pas la profession.

Adieu monsieur. Nous vous sommes attaché mon Oncle et moi pour la vie.