ce 29 mars [1764] des Délices
Votre lettre Mon cher ami m'a fait un plaisir extrême.
Vous avez passé votre hyver à Paris, et vous avez bien fait. Quel que goût que l'on ait pour la campagne il faut du beau temps pour le satisfaire. Pour moi j'y passe ma vie, mais comme nous sommes six personnes de fondation, j'ai toujours de la société. Le mariage de notre petite Corneille réussit à merveille. Son mari l'aime à la folie, ils sont tous deux d'un caractère charment. J'avais pris aussi une geune personne soeur de mr Dupuis qui va avoir 17 ans, très jolie et très bon enfant. Je viens de la marier à un maitre des comtes de Dole en Franche Comté. C'est un homme aimable d'une très jollie figure et qui a du bien. La demoiselle a pour toutte fortune dix mille écus, n'aiant plus n'y père n'y mère. Notre marié se nomme mr de Vaux. Il est arrivé ici il y a quinze jours. Toutes les informations de part et d'autres étoient faites; un ami comun que j'avais chargé de faire se mariage l'acompagnait. Bref ils arivèrent le mercredi, nous avons fait le mariage le mercredi suivant, et nous sommes toujours en nosse, tout le païs venant nous faire des complimens. Les nouvaux mariés restent avec nous jusqu'au mois de mai, et puis je leur donnerai ma bénédiction et je crois qu'ils seront très heureux. Voilà Mon cher ami ce qui fait que je n'ai pu vous répondre sur le chant. J'ai eû depuis quinze jours un embaras inexprimable, n'aiant pas le temps de respirer. Mon Oncle prétand que tous ces mariages le rajeunisse. C'est un grand plaisir que de faire des heureux. Il se porte assez bien, et attand le beau temps avec une impassience extrême. La promenade lui est absolument nécessaire.
Etes vous content d'Olimpie? Les acteurs jouent t'ils bien? Le spectacle doit en être beau, nous l'avons essaié l'année passée sur notre peti théâtre, elle fit un grand effet. Etes vous contante de Mlle Clairon? Mlle Dumeni rand elle bien Statira? C'est un beau rôle et celui que j'avais choisi, ne me trouvand pas assez jeune pour rendre celui d'Olimpie. Ne serez vous jamais tenté de voir notre peti théâtre? Soiez sûr qu'un voiage vous ferait du bien. Tiriot m'avait promis qu'il vous déterminerait. Venez passer un hété avec nous. Par Lion le chemin est superbe actuelement. Le changement d'air, l'exercice, le plaisir que vous feriez à votre bonne amie, tout concourrait à vous donner de la santé. Croiez qu'on ne cose point à son aise par écrit. Je vous jure que si je le pouvais, si j'étais libre et garçon, je ferais un voiage exprès pour vous voir. Mais je ne peux quiter mon Oncle qui quoi que d'une santé encor assez passable devient très délica. Je suis sûre qu'il serai[t] enchantée de vous voir et si je n'en avais pas les preuves l[es] plus convincantes, je ne vous presserais pas. Vous serez contant de ma petite Corneille et de son mari. Ce sont les meilleurs petites bonnes gens du monde. Je les aiment comme mes enfans et je voudrais qu'ils eussent le bonheur de vous connoitre. Mon Oncle qui a toujours répandu des grâces dans la société est plus aimable que jamais, l'âge aiant modéré sa grande vivacité, et le rendant bien plus doux qu'il n'était autrefois. Savez vous que nous avons aussi un ex gesuite, car il n'en est plus d'autre. Nous en avons fait notre aumônier. C'est un espesse d'imbécile qui n'y a jamais entandu finesse, et qui a cependand quelle que connoissence. Il a régenté 20 ans à Dijon, mais ce que j'en aime le mieux c'est qu'il est grand joueur d'échets et amuse beaucoup Mon Oncle. Adieu Mon cher ami. Ma santé est toujours bien chancelante, ce qui m'empêche d'écrir, ne pouvant plier l'estomac. Tronchain prétant qu'il me guérira. J'attands plus du temps que de lui. Je vais toujours, j'aime mes amis, et surtout vous à qui je suis tendrement attaché pour ma vie.
Denis