ce 15 aoust [1769]
Vous ne voulez donc pas apsolument Mon cher ami que l'on joue Pandore pour le mariage de Mr le dauphin.
C'est votre fantesie. Vous ne voulez pas écrir à Mr le duc Daumond qui sera d'année, sur qui toutes les festes rouleront, qui en a seul la puissance et la direction, sur qui seul tombera le blâme ou les louanges, encas que les festes soient bonnes ou mauvaises. Vous voulez écrir au maréchal qui n'y peut pas plus que moi et qui ne s'en mêlera en aucune façon du monde.
Il est vrai que Mr de Laborde vous avait prié de lui écrire par ce qu'il est d'année pour faire jouer Pandore cet autonne à Fontainebleau. Mais le théâtre est trop peti pour les décorations de Pandore et il n'y aura point d'opéra à Fontainebleau, et il vaudray bien mieux être joué dans cette magnifique salle de Versaille que le roy vient de faire bâtir et qui sera étrenée pour le mariage, d'autant que cet opéra demende beaucoup de décorations.
Ce qu'il y a de fâcheux c'est que mr Daumond a déjà fait ses préparatifs, et plus nous retarderons à demender moins il y aura des moiens de réussir. Ecrivez donc à Mr Daumond. Mr Dargental se charge de lui en parler quand Mr Daumond aura reçu votre lettre: Mais sans cela il ne s'en charge pas. Laborde ne veut rien demender personelement. Je l'ai vu hyer. Il était désespéré de ce que vous n'aviez pas encor écrit. Il croit que s'est ma faute.
Je consois que vous avez de meilleurs yeux que nous puis que vous lisez quatorze heures de suite sans lunette et qu'actuelement j'en ai une grande pere sur le nez pour vous écrire. Mais avec vos deux globes de feu je vous deffie de voir ici comme nous qui avons le nez dessus.
C'est au maréchal qu'il faut écrire Mon cher ami pour les Scittes. Nous l'avons fait mettre sur le répertoir de Fontainebleau, mais nous ne sçavons pas si la pièce y restera. Il faut tâcher qu'elle y soit jouée. On la reprandrait à Paris après le voiage. Ecrivez au maréchal pour les Scittes parce qu'il est d'année, et au duc Domond pour Pandore par ce qu'il sera d'année. Apropos des Guebres gardez vous bien de vous presser de la ranforcer. J'ai vu des lettres de vous sur cela qui m'ont fait trembler. On commence à la jouer dans les provinces. On l'a représanté à Lille. On la jouera partout et on finira ici par en faire autand. Donnez vous passience, Mon cher ami, vous devez recevoir une lettre de moi par Desfranges. Il est parti aujourdui. Je vous entretient d'un nouveau proget que je souhaite fort qui réussisse et qui pour lors ferait tomber celui de Fernex.
Ne croiez pas mon cher ami que j'aie mauvaise oppinion de la femme de chambre que vous me proposez. Je la crois fort adroite et fort intelligente, mais cela me gènerait trop. J'en veux une à moi que je puisse guarder ou renvoier, si elle me sert mal. A l'éguard de Lavigne il serait aussi bon qu'un autre s'il pouvait monter derière le carosse, me porter pour en dessandre, froter, et porter mon bouas. Mais il est aussi lour et aussi gros que moi. Celui que je comtais amener n'est pas un Monsieur. Il frote, porte le bois, fait mes Comitions. Il est vrai qu'il met des chemises blanches et des manchetes, et qu'il put moins que ceux de la campagne, ce qui doit se Comter pour quelque chose quand on est obbligé de prendre le brat d'un domestique pour se soutennir. Mais j'espère quand vous aurez lu la lettre que l'on doit vous rendre que nous ne parlerons plus de tout cela. Je vous embrasse bien tendrement mon cher ami et vous aime de tout mon coeur.