1769-08-23, de Marie Louise Denis à Voltaire [François Marie Arouet].

Je reçois votre lettre mon cher ami du 16 auguste.
Elle est bien triste. Vous me dites, le résultat est que i'ai vécu seul et malade dans un désert. Cela a fait mon chagrin et cela le fait encor. Mais vous l'avez voulu. Quand j'ai cherché à vous rendre votre maison agréable, cela vous a déplu. Vous étiez dans votre cabinet dans la plus profonde solitude et la plus grande liberté. Quand vous vouliez vous délasser vous n'aviez qu'à ouvrir votre porte. Vous trouviez toujours des gens que votre présence rendait heureux, et vous m'avez dit cent fois que cette vie vous plaisait fort, et que vous la recomenceriez volontier. Vous avez tout à coup changé de façon de penser. Vous nous avez tous chassez pour vivre teste à teste avec le père Adam. Vous avez etayé cela de mr Duret qu'on dit très lour, très ennuieux, et par dessus cela fesant de très méchants vers. Je suis bien sûr que ce n'est pas par goût que vous l'avez pris, que la Compassion y a eu la plus grande part, mais enfin quand toute la terre est à vos pieds est il possible que vous préfériez ces deux être là au genre humain? Car enfin vous êtes votre maitre apsollu, vous êtes recherché de tout l'hunivers, vous êtes riche, vous pouvez donc faire tout ce qui vous plait. Je vous suis attachée depuis trante ans. Je sçai que je n'ai point assez d'esprit et d'agrément pour remplir vos moments perdus, Mais enfin sans avoir trop d'orgœuil je valais mieux que le père Adam et Mr Duret. Ne croiez pas cependand que j'aie pris ces deux êtres en déplaisance au point de m'éloigner de vous. J'aimerais certenement mieux mourir que de vivre en tier avec eux, mais quand vous ferez le quatrième je ne verai que vous seul et le reste me sera de la dernière indifférence. Je vous promets même que j'aurai pour eux tous les éguards et toute la politesse qu'on se doit quand on vit sous le même toit.

Vous me demenderez comment je connais Mr Duret. Primo par tous les gens qui ont été chez vous, et plus particulièrement par une femme de beaucoup d'esprit de vos amis et des miens qui l'a vue à Neuchatel, qui croiait lors qu'il est venu chez vous que vous ne pouriez pas le suporter deux heures. Elle m'a dit que n'aiant dans ce temps là n'y portier n'y laquais pour annoncer, il l'avait obbligé de mettre des veroux et des crochets à toute ses portes pour l'empêcher d'entrer chez elle, que s'était une manière de bel esprit beste qui lui était insuportable. Vous devinerez aisément la femme dont je vous parle. Sa réputation de probité n'est pas plus heureuse que celle de son esprit. Peut être tout cela est il injuste, mais étant obbligée de vivre avec ces messieurs ne me sachez pas mauvais gré de désirer deux chevaux affin que lors que je n'aurai pas le bonheur d'être avec vous, je puisse quelquefois parler à des humains et respirer un air pur. Pardonnez moi si je vous ouvre mon Cœur. Ce qui m'enhardit c'est que vous santez tout cela bien mieux que moi. Mais je vous connais bien, vous tâchez de vous le cacher à vous même, vous bouraudez votre vie à plaisir. Quel domage! Il faut mon cher ami de la guaité dans la vieillesse. Sans un grand tourbillon il vous faut une société dousse qui vous chérisse et qui vous amuse. Vous êtes né le plus grand et le plus aimable des hommes. Lessez vous aller naturelement, vous enchanterez tout ce qui vous entourera. Savez vous que tous les grands hommes ne sont pas aimables, que vous avez une guaité quand rien ne vous chifone qui est bien précieuse et bien faite pour prolonger vos jours? Conservez la, faites en part aux gens qui vous aiment et qui ont dumoins le mérite de sentir tout ce que vous valez.

Si vous voulez aller passer les hyvers en Provance nous irons. Je ferai tout ce que vous voudrez, n'en doutez jamais. Je vous suplie de m'accuser la réception d'une lettre que vous recevrez par mr Desfranges.

Apropos j'oubliais de vous parler du peti Talon. Mme Lelong a parlé de son affaire à Mr de Vime. Elle a fait cela comme d'elle même. Mr de Vime c'est mis à sourire. Il lui a dit, je vous répondrai sur cela dans huit jours, mais je vous demende huit jours. Elle l'en fera ressouvenir quand le temps sera expiré, et je vous en randrai comte. Encor autre affaire. Mr Comti, italien que j'ai vu quelque fois, vous a écrit pour vous prier de lui traduire un champ à votre chois de la Gerusalemme liberata. Il veut faire une belle édition en italien, et une traduction fransaise par plusieurs gens de lettres. Il dit que si vous voulez lui en traduire un champ vous ferez sa fortune. Je lui ai dit que je ne me charjais point de cette comition. Vous la ferez en ver, en prose, tout comme il vous plaira. Mendez moi si cela vous convient oui ou nom.

Autre affaire. Il faut apsolument écrir au Maréchal de Richelieu pour que les Scites soient joués à Fontainebleau. On ne veut que quatre tragédie sur le répertoir. Il y a Merope et Tencrede. Dites au Maréchal, qu'on a qu'à auter Merope et mettre à la plasse les Scittes. Cela fera toujours le même nombre de tragédie et cela ne fera de tort à personne.

Adieu Mon cher ami, j'espère que je réussirai dans ma grande affaire. Il n'y a que les gens qui travaillent qui sont dans le secret. Pas un âme ne sçait rien n'y ne s'en doute, et cela est important. Répondez moi à la lettre de Desfranges, par ce qu'il faut que je praine des arrengemens pour ma maison. Soiez sûr que je ne songe qu'à vous, que je n'aime que vous, que je ne vis que pour vous. Ne m'écrivez point des lettres affligentes quand je ne songe qu'à chercher tous les moiens de vous rendre heureux.

Apropos j'ai parlé de Martin à mon neveu. Il a fait visiter tous les registres. Il n'y a point de Martin et cela n'est pas apparament du ressort du parlement de Paris. Ce sera peut être le conseil souverin de Nanci. Adieu, je vous embrasse tendrement.