1759-02-18, de Marie Louise Denis à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

J'avais l'honneur de vous écrire Madame lors que je reçois votre lettre, elle m'aurait Comblé de joie si vous ne me parliez pas d'une avanture que je souhaite d'oublier à jamais.
Je ne vous enverai point la relation que vous me demendez de ce qui m'est arrivé à ce vilin Francfort que je déteste. Je vous suplie même s'il vous reste encor un peu d'amitié pour moi de n'en jamais parler. Je respecte assez les roys pour me tennir dans le silence quel que tort qu'ils puissent avoir avec moi. Je connais l'énorme distence d'un particulier à un souverin. Ma destinée, m'a conduite une fois à Francfort pour consoller et soulager un homme que j'aime et que je regarde comme Mon père, on s'est servi d'un nom respectable pour m'y faire une infamie, tampis pour ceux qui l'ont faite, c'est au prince même à punir ceux qui abbusent de son nom et si c'est par son ordre qu'on en a usé ainsi je n'ai qu'à me taire. Je crois le souverain dont vous me parlez très redoutable à tous égards. Je connais trop mon néant pour vouloir être compromise avec lui. Je le respecte, je l'admire, et je trouve par vos dernières lettres qu'on est à votre Cour dans une grande sécurité. Je souhaite de tout mon cœur qu'elle se soutiene et que la paix se fasse très promtement.

Je vous suplie donc de ne me plus parler de mes malheurs. J'ose vous ajouter que si l'on voulait me forcer à renouveler cette cruelle affaire j'abbandonnerais tout, je romprais même les chaines les plus sacrées, pour l'éviter. C'est vous en dire assez pour vous convincre que je suis résolue à ne faire aucune démarche qui puisse altérer ma tranquilité, et sur tout celle de l'homme à qui je suis attachée et à qui il ne menque qu'une dose de modération dans ses goûts ou dans ses avertions, pour être heureux et pour faire le bonheur de ceux qui lui sont attachez. Brisons sur cela Madame et parlons de vous. Vous voulez donc aller souper à Paris chez le chevalier de Florian, il en est Comblé de joie, mais il faut passer par la Suisse en allant ou en revenant. Apropos vous ne l'aimez guère plus que je n'aime Francfort mais nous vous recevrons dans le beau château de Fernex que mon Oncle bâtit tout exprès Madame pour vous y posséder. Il est en France, nous vous en ferons les honneurs. Quand les plaisirs de Paris vous auront bien fatigués venez dans nos retraites, vous y trouverez le repos et l'amitié empressez à vous y recevoir.

J'ai enfin vos souliers, je vais les faire partir à l'adresse que vous me marquez et en donner avis au banquier que vous m'indiquez. L'heure me presse, le courier part. Votre lettre a été un mois en chemin, je voudrais que celle ci pût vous parvenir plus tos. J'aurai l'honneur de vous écrire ces jours ci Madame plus longuement, je voudrais vous répéter dans tous les moments de ma vie que mon coeur, mon âme sont à vous pour jamais.

Denis