1758-10-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Mon premier soin Madame après avoir vu Mr Grim a été d'envoier chez le peintre pour le portrait de votre divine impératrice.
Il me les a aportés tous deux ce matin. Ma soeur trouve toujours le premier meilleur que le segond. Mon Oncle et moi nous les trouvons bien tous deux. Mr Grim aurait pu s'en charger si le peintre n'avait encor exigé de les garder trois jours. Ainsi nous vous enverons ces portraits par le carosse de Geneve qui arrive à Lausane mercredi prochain 11 du courant. On les empaqtera dans une petite boete à votre adresse, et vous aurez la bonté Madame d'ordonner qu'on aille prendre ce petit paquet à l'arrivée du carosse à Lauzane.

Je vous promets aussi de faire travailler Mr Huber, et de ne lui laisser n'y paix n'y trêve qu'il n'ait fait ce que vous lui demendez. J'ai écrit à Lion pour vos dessus de souliers. Dès que je les aurai nous verons où vous serez et comment on poura vous les faire tennir.

Je ne songe point à votre départ Madame sans une grande douleur. Pour quoi vous être montrée à nous si bonne, si spirituelle, si aimable pour disparaitre si promptement. Vous emportez nos coeurs et vous ne nous laissez que des regrets. Nous parlons sans cesse de vous. Mon Oncle vous respecte et vous aime. Il dit toujours qu'il faut que vous demeuriez en Suisse, que vous n'êtes pas assez philosophe; que c'est de toutes les vertus la seulle qui vous menque. Il serait bien capable de vous la donner si vous vouliez vous laisser endoctriner par lui. Apropos de doctrine ce n'est point celle de Mr Grim qui m'intéresse, c'est celle de Mr Donope que je veux combatre, c'est son âme qu'il faut sauver. Je voudrais le voir bon catolique aux pieds de votre incomparable impératrice. Je vous repette que les français ne l'abbandoneront pas. Elle est trop vertueuse et trop belle. Permettez moi de ne pas croire un mot de votre nouvelle. Mais soiez bien sure Madame que mes sentimens pour vous seront inaltérables.

J'ai mille respects à vous offrir de toute notre maison, de celle de Mme Pictet et de toutes les personnes qui ont eu l'honneur de vous connaitre ici.

Oui madame le vieux suisse voudrait que vous n'eussiez ny besoin d'empereurs, ny goust pour les cours. Oui vous êtes digne d'être philosophe, vous embelliriez nos climats, vous y introduiriez les grâces. Lausane deviendrait une ville charmante, le lac Major ne tiendrait pas devant le lac de Geneve, mais vous n'aimez que le Danube et leurs sacrées majestez. Allez donc, mais songez que vous ne serez jamais plus aimée chez les marcomans et chez les abares que dans nos paisibles retraittes.

V.