1753-07-30, de Marie Louise Denis à George Keith, 10th Earl Marischal.

Je vous Suis très obligée Milord de n'avoir point envoié Ma lettre puisque vous ne l'avez pas trouvée Convenable.
Mon Oncle m'écrit qu'il va abbandonner ce beau procès quoi qu'il ignore encor la démarche que je viens de faire. Je voudrais qu'il eût pris ce parti en Sortant de Francfort. Je ne lui ai donné ma procuration que forcément, il vouloit disoit il laisser Sa teste à Francfort ou avoir justice. Comme l'un étoit plus probable que l'autre j'aurais tout fait pour le faire Sortir de cette ville.

La lettre dont vous me parlez qui Court le Monde me désespère. Je vous avoue ingénumant que S'est par ma faute qu'elle S'est répandue. Je la lus à un homme qui est ordinerement prudent; il la trouva belle et me pria de lui en laisser prendre une Copie, j'eus la foiblesse d'y consentir. Le lendemain elle étoit publique. Je ne reverai l'homme de ma vie mais cela ne répare pas le mal.

Cependand j'ose encor espérer que le roy de Prusse ne S'en offensera pas. Comment peut on empêcher un malheureux de Se plaindre quand il ne Sort point des bornes du respect? Malgré cette réflection je voudrais que la lettre fût ensevelie. C'est un malheur attaché à la célébrité de mon Oncle de ne pouvoir tourner le pieds, Sans avoir l'Europe pour Son confident. Il est résolu de choisir une retraite Si profonde et Si ignorée que peut-être on l'y laissera mourir en paix. Adieu Milord je n'espère qu'en vous. Vous Seul pouvez calmer le roy de Prusse, par ce que vous ne voulez que le bien; Soiez Sûr que mon Oncle ne cessera jamais d'admirer votre Maître et de le respecter — malgré tous les tourments qu'il éprouve depuis un an pour lui avoir Sacrifié Sa patrie et tout ce qu'il avoit de plus cher. Je Conviens aussi que Mon Oncle S'est très mal Conduit, mais il n'est point fait pour vivre avec des roys, Son Caractère est trop vif, trop inconséquand et trop volontaire. J'ai prévu il y a trois ans tout ce qui vient d'arriver, on m'en a Sçu mauvais gré. J'ai voulu l'engager il y a un an à vennir passer icy Six mois, je m'appercevais que les cartes Se brouilloient et je voulais lui remettre la teste, on m'en a fait un crime; je l'ai Sçu malade et arrêté à Francfort, j'ai été le Secourir et tâcher de modérer Sa vivacité qui pouvoit (vu les gens à qui il avoit à faire) le perdre dans l'esprit du roy votre maître, pour me récompenser on m'a fait les outrages les plus violans; il ne me reste plus de resource qu'en vous Milord, obtennez de la clémence du Roy de Prusse qu'il lui pardonne toutte Ses follies, et moi j'ose vous répondre que quelque lieu que Mon Oncle habite, il ne Se démentira point, et lui restera attaché pour Sa vie; par ce qu'il a Souvant la teste mauvaise mais toujours le Coeur bon, et qu'il oublira Ses rigeurs en faveur des bienfaits qu'il en a reçus, et de toutes les bontez dont il l'a Comblé.

Mignot Denis