1753-06-26, de Antoine Honneste de Monteil de Brunier, marquis d'Adhémar à Marie Louise Denis.

Mon cher Marquis je Suis toujours dans un état violant, cependand je n'ai plus de Convultions, mais j'ai eu hyer au Soir un quatrième accès de fièvre.
Je ne peu faire de remède icy, je Suis trop chagrine et trop male à mon aise. Il en arrivera tout ce qui plaira à dieu. Je n'ai dans mon chagrin qu'un Seul Motif de Consolation, c'est que je Suis Sure que le roy n'a nulle part à touttes les injustices que nous essuions. Fraedag et Chemite n'ont pas pu produire un Seul Ordre eccepté le per où il a redemendé à Mon Oncle le Cordon, la clef et le livre de poésies. Mon Oncle a Satisfait à tout avec la plus grande Soumition et le plus profond respect. Non Seulement ils ont ce qu'ils demendent mais encor 80 louis qu'ils ont pris à Mon Oncle et deux gros paquets de papiers de littératures qui lui Sont fort utils pour Son travail. Nous avons une crainte bien violante, nous craignons, qu'on intercepte les lettres que nous avons adressés au roy; pour lors nous Serions Comme des agnaux à La boucherie, car nous n'attendons de justice et de pitié que de lui. L'amitié que j'ai pour Mon Oncle Mon Cher Marquis ne m'aveugle point Sur Ses torts. Il en a de très grands, et le principal motif de mon voiage a été de tâcher de lui faire entendre raison Sur Son acharnement contre Maupertuis qui certenement déplaît beaucoup au roy. Milord Marchal Sçait Sur cela ma façon de pencer, et c'est lui même qui m'a engagé à joindre Mon Oncle pour lui remettre la teste. Enfin j'en Suis venue à bout, il m'a juré que non Seulement il n'écriroit plus Contre Maupertuis mais qu'il tâcheroit même de ne jamais prononcer Son nom. Il veut donner cette marque de respect au roy, il avait la teste telement frapée que ce Sacrifice lui a beaucoup coûté, mais il tiendra parole, il l'a écrit au roy il y a deux jours. Il est certain que Mon Oncle a détesté Maupertuis comme une femme qui aime bien Son amant déteste Sa rivale, plus il a aimé le roy plus Maupertuis lui a paru odieux. Dans Ses momans de chagrins les plus violans je ne lui ai jamais entandu parler du Roy qu'avec admiration, tendresse et respect, et je vous jure Mon cher Marquis que malgré tous les maux qu'il Soufre il l'aime encor passionément. Mais vous Connoissez Mr de Voltaire, vous Sçavez comme Son imagination Se frape. Il a beaucoup Soufert, le chagrin avoit egrit Son humeur, il avoit besoin de quelcun qui lui parla un peu raison. Il n'étoit entouré à Berlin que de gens qui loin de le faire revenir de Ses erreurs avoient été trop jaloux de Sa faveur pour ne pas essaier de le perdre. Et lors qu'on egrit Mr de V. il est capable de faire toutes les fautes possibles. Mais la raison le fait revennir, il ne faut que la lui montrer, il ressant mieux qu'un autre tous Ses torts. Il est dans ce cas là aujourdui, Mme la Maldgrave peut Seulle adoucir le roy. Cette négociation est bien digne d'elle et dès qu'elle aura permis à Mon Oncle de mettre à Ses pieds ces regrets et Ses malheurs je suis Sure qu'elle Sera Contante de lui et que le roy Sera touché des Sentimens qu'il aura toutte Sa vie pour lui. Il y a une chose qui m'inquiète Mon cher marquis et que je vous Confie. Je ne Suis arrivée malheureusement içy que le 9 de ce mois et Mon Oncle avoit fait imprimer huit jours avant une lettre où il étoit encor grandement question de Maupertuis. Lors que je lu ieut fait Sentir Combien Son acharnement déplairoit au roy, il n'osa jamais m'avouer cette lettre et je ne la Connais que depuis deux jours. Elle a redoublé mon désespoir dans la crainte qu'elle n'aigrisse encor le roy. On la lui a certenement envoié. Du moins il Saura que c'est la dernière et que mon Oncle est dans la résolution de lui Sacrifier toutte l'inimitié qu'il a pour Son percécuteur. Enfin Mon cher Marquis je n'ai plus d'espoir que dans S. A. R. Mme la Maltgrave. Elle Seulle peut tout raccomoder. Nous Sommes icy dans la gueulle des lions. Ces gens là n'entendent n'y justice n'y raison et par respect pour le roy je Suis obbligée de vous taire des percécutions qui font orreurs. Je donnerais la moitié de mon Sang pour que Mon Oncle fût à Bareuth. Mon cher Marquis obtennez lui cette permition, je vous devrais la vie, et tout S'appaisera. Adieu je Suis mourante mais je bénirai tous mes maux Si le roy pardonne à Mon Oncle. Je me gette dans les bras de Mme la Maltgrave, j'implore Ses bontez et je la Suplie de Sauver un grand homme qui a Si bien chanté le plus grand roy du monde et qui n'a jamais laissé un moment de l'aimer. Adieu.