1757-01-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Nous vous sommes très obbligés Monsieur de nous avoir rassuré sur l'état du Roy après nos justes alarmes.
Toutes les nouvelles s'accordent à dire qu'il est très bien, et que cette affreuse catastrophe ne peut avoir nulle suite fâcheuse. Il est fort à désirer qu'on puisse faire parler ce Monstre. C'est certenement un fol fanatique mais s'il a des complices il est bien essantiel de les connoitre. Mendez moi tout ce que vous saurez.

Nous sommes fort étonnés que vous n'aiez pas encor l'édition de Mon Oncle et l'histoire générale. Il écrit positivement à Mr Cramer pour qu'elle vous soit envoiée sur le chant. Nous sommes à Monrion depuis huit jours et nous ne nous y portons pas trop bien l'un et l'autre. Ecrivez nous toujours aux Délices car peut être y retournerons nous bien tos. J'espère qu'après tant d'alarmes tout sera tranquile dans Paris avant quinze jours. Si l'on avoit fait des petites maisons pour le clergé et le parlement et qu'on eût geté sur leurs querelles tout le ridicule qu'elles méritent il y aurait eu moins de testes échaufées et par concéquand moins de phanatiques. Le public a mis trop d'importance à ces misères, de bons ridicules et de grands sçaux d'eaux d'eaux c'est la seulle façon d'appaiser tout. Mon Oncle a fait à notre sciècle plus d'honneur qu'il ne mérite quand il a dit que la philosophie avoit assez gagné en France et que nos meurs étoient trop douces actuelement pour craindre que les françois pussent dorénavant assassiner leur roy. Il est désespéré de s'être trompé car il aime véritablement et la France et son roy. Mais un fol ne fait pas la nation. Le roy est aimé et mérite de l'être à tous égards. Adieu Monsieur, songez quelquefois à vos amis des Délices et soiez persuadé qu'ils ont pour vous la plus tendre et la plus inviolable amitié.

Il faut mon cher et ancien ami que la tête ait tourné à ce huguenot de Crammer qui m'avait tant promis de vous aporter mes guenilles.

Les étrangers me reprochent d'avoir insinué dans plus d'un endroit que vous autres français vous êtes doux et philosophes. Ils disent qu'on assassine trop de rois en France pour des querelles de prêtres. Mais un chien enragé d'Arras, un malheureux convulsionaire de st Medard qui croit tuer un roy de France avec un canif à tailler des plumes, un forcené idiot, un si sot monstre a t'il quelque chose de comun avec la nation? Ce qu'il y a de déplorable, c'est que l'esprit convulsionaire a pénétré dans l'âme de cet exécrable coquin. Les miracles de ce fou de Pâris, l'imbécille Mongeron, ont commencé et Pierre Damien a fini. Si Louis 14 n'avait pas donné trop de poids à un plat livre de Quenel, et trop de confiance aux fureurs du fripon le Tellier son confesseur jamais Louis 15 n'eût reçu de coups de canif. Il me paraît impossible qu'il y ait eu un complot. En ce cas je suis justifié des éloges de ma nation. S'il y a un complot, je n'ay rien à dire.

Je vous embrasse tendrement, vous et le grand abbé. N'oubliez jamais votre vieux et très attaché camarade.

V.