à Monrion 13 janvier1757
Eh bien vous courez donc de belle en belle, et vous prétendez qu'on ne meurt que de chagrin.
Ajoutez y je vous prie les indigestions. Il n'a pas tenu à Pierre Damien que le descendant de Henri quatre ne mourût comme ce héros. J'aprends dans le moment et assez tard cette abominable nouvelle. Je ne pouvais la croire; on me la confirme. Elle glace le sang. On ne sait où on en est! Quoy dans ce siècle, quoy dans ce temps éclairé, quoy au milieu d'une nation si polie, si douce, si légère! un Ravaillac nouvau! Voylà donc ce que produiront toujours des querelles de prètres. Les temps éclairez n'éclaireront qu'un petit nombre d'honnêtes gens. Le vulgaire sera toujours fanatique. Ce sont donc là les abominables effets de la bulle unigenitus, et des graves impertinences de Quenel, et de l'insolence de le Tellier. Je n'avais cru les jansénistes et les molinistes que ridicules, et les voilà sanguinaires, les voilà parricides! Je vous supplie mon ancien ami de me mander ce que vous saurez de cet incroiable attentat. Si votre main ne tremble pas, écrivez moy par Pontarlier. Les lettres arrivent deux jours plus tôt par cette voye. A Monrion par Pontarlier s'il vous plait. C'est là que je passe mon hiver dans des souffrances assez grandes, en attendant que votre conversation les adoucisse dans ma petite retraitte des Délices auprès de Geneve.
J'ay cette indigne édition. Je me flatte qu'on n'en parle plus. Nous sommes dans le temps de tous les crimes.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
V.