1768-05-19, de Marie Louise Denis à Henri Rieu.

Il faut que je Comte bien sur votre amitié Monsieur pour avoir été si longtemps sans répondre à votre lettre et pour être sûre que vous m'excuserez.
Beaucoup d'affaires, la cantité de gens de toute espesse qu'il m'a fallu recevoir, et surtout mes chagrins m'accablent. Personne ne sçait mieux que vous la douleur que m'a cosé une séparation à la quelle je ne devais pas m'attendre. J'en suis encor étourdie, et je ne sçaurais me Consoller. J'ai été très aqueillie à Paris. Tout le monde est venu audevant de moi et cherche à me dissiper. On me fait mille questions sur cette malheureuse séparation. Je ne sçaurais y répondre puis que j'en ignore encor la cause. On m'a cherché querelle sur un propos qui n'était qu'une plaisantrie et qu'on a voulu prendre pour une insulte. Mais comme on sçait le fransais, et qu'on sçait la force des termes, certenement ce n'était qu'un prétexte et le dessein était pris depuis longtemps, dumoins je le présume, sans sependand pouvoir l'assurer. La vante de Fernex m'aurait geté dans le dernier désespoir. Heureusement elle n'a plus lieu. On m'avait dit que vous aviez la petite maison du cherugien. J'en serais bien plus aise aprésant que Fernex n'est pas vandu. Ensuite on m'a mendé que cela n'était pas, et j'en ai été très fâchée. Tout ce que je puis vous dire c'est que malgré les boutades de Mon Oncle je l'aime toujours. Je n'impute point ses injustices à son coeur, par ce qu'il les réparent tant qu'il peut. Je suis àprésant assez contante de ses lettres. Mais il me mende toujours qu'il veut être seul. Il ajoute à ma petite fortune vingt mille franc par an tant que je serai à Paris. Il faut laiser passer les orages. Le vant qui m'a repoussé me ramènera peut être. Il faudrait seulement ne se point affliger, et sur ce point je ne suis point assez resonable. Je vous aurai la plus grande obbligation Monsieur de le voir souvant et de m'en donner des nouvelles. Vous êtes une des personnes qu'il aime le mieux, j'ai pour vous la plus inviolable amitié. Vous m'avez donné toujours des preuves de la vôtre. J'y compte, et je suis à vous pour jamais. Si je peux vous être util dans ce païs ci emploiez moi. J'ai perdu de vue Versoi, cependand je sçais qu'on y fait un port. Si l'on y met la poste il ne faut pas perdre cet obget de vue. Je vais demain à Versaille, je chercherai à voir l'air du bureau. Je verai mr Janelle. Soiez sûr que quoi que je ne vous aie pas écrit je ne vous en aime pas moins, que je songe à vous sans cesse, que j'espère que vous conservez de l'amitié pour moi, et que vous verez souvant mon Oncle pour l'amour de moi, et pour lui même. Mendez moi ce qu'il fait et ce qu'il pense, si vous pouvez le deviner. Adieu Monsieur, dites bien des choses tendres pour moi à Mme votre femme, à Mme votre Mère, et ne doutez pas des semtimens qui m'attachent à vous pour la vie.

Denis

Mendez moi ce que fait le gésuite, c'est une plate beste. S'il avait eu de l'esprit mon Oncle s'en méfirait. Comme il le croit comme de raison un sot ce qu'il lui dit peut lui faire impression. Les bestes méchantes sont très dangereuses. Dites je vous prie à Dupuits que je songerai à lui à Versailles et que je lui écrirai à mon retour.