ce 8 8bre [1754] de Colmar
Vous êtes bien aimable Monsieur d'avoir renvoié Mon Coché et mes chevaux.
Tout cela est arrivé à bon port et on a vendu mes chevaux le surlendemain de leur arrivée 400lt . Cela me paroit fort honeste. Pour ce que je fais icy je n'ai pas grand besoin de voiture car je ne sort jamais et je ne vois pas trois personnes dans la ville. Mon Oncle travaille beaucoup, je barbouille aussi du papier et mon Alceste va son train. Je Crois que vous êtes à votre joli Lonay, l'abbé me mende que vous devez vous joindre. Je lui ai écrit. Communiquez vous vos deux lettres, par ce que je vous mende des chauses différentes.
Mon Oncle a fait une tragédie intitulée l'orphelin de la Chine en trois actes. Il en avait lu deux actes aux Dargentaux à Plombiere qui étoient restés en extase Comme vous Croiez bien. Il a fait le troisième qui vaut les deux premiers. En général la pièce est très belle, fortement écrite, singulière, intéressante, mais point déchirante. Je doute même qu'on y pleure, mais l'intéres est très vif. Dargental a tant tourmenté mon Oncle qu'il [la] lui a envoié. Il voulait apsolument la faire jouer à Paris pendand le voiage de Fontainebleau. Je m'y suis opposée de toutes mes forces. Crebillon donne une pièce après la st Martin, il y a longtemps que mon Oncle n'en a donné, cela aurait encor un air de Concurrance, et en vérité cela ne va pas à mon Oncle. Il ne lui Convient pas davantage de se faire jouer pendand l'absence, lors que Crebillon l'est l'hyver. Cela aurait l'air par trop humble, et l'humilité poussée à ce point n'est pas une vertu de ce temps ci. Il faut laisser Couler Crebillon sans rien dire, après cela on poura la donner l'été prochain par ce qu'elle n'est qu'en trois actes. Mendez moi si c'est votre avis et celui de notre grand abbé.
Du reste voulez vous savoir ma vie? Je dorts tant que je peux, je menge de même, je lis, je travaille, et je paresse quel que fois. Je ne sçai pas encor un mot de ma destinée, il y a vingt progets en l'air, et pas un pour la France. C'est ce qui me fait croire que nous y resterons. Ne parlez pas de cela, dites à l'abbé de n'en point parler. Je vous regarde Comme mes deux ami pour qui je n'ai rien de caché, mais il ne faut point que les progets de mon Oncle cour le monde. Ce qu'il y a de sûr c'est que je ne le suivrai pas qu'il ne praine un parti resonable, et sur tout que l'Allemagne n'ait aucune place dans ses arrengemens. Vous voiez Monsieur je ne vous trompais pas lors que je vous disai que je Courais risque de passer ma vie a deux cent lieux de Paris. Je prévoiais ce qui m'arrive, et il n'était guère possible que cela fût autrement.
Je travaille à Alceste, quel que fois je la trouve bien; souvant je la crois mauvaise. Mon Oncle n'en a encor rien, vu, mais je doute que je puisse être encor longtemps sans lui montrer, et je redoute ce moment. Adieu Monsieur, je me reprochais bien de ne vous point écrire mais j'ai été assomée de lettre d'affaire. Vous connoissez toute mon amitié pour vous et vous seriez bien injuste si vous imaginiez qu'elle pût varier un moment.
Je veux apsolument que vous me mendiez comment vous voulez que je vous fasse tennir l'argeant que vous avez donné à mon Coché.