1755-05-06, de Marie Louise Denis à Jean Robert Tronchin.

J'ai recours à vous Monsieur pour faire une petite tricherie à Mon Oncle et je me flate que vous voudrez bien me seconder.

Nous aimons tous deux passionément les Delices. Il dirige les bâtimens et me laisse le soin de les meubler.

La moquete que vous nous avez envoié l'a enchanté avec raison car elle est très jollie. Mais j'en ai suffisament.

J'ai destiné une tapisserie de damas cramoisi pour meubler mon sallon, et je veux que les sièges soient de velours d'Utrec cramoisi. Depuis que mon Oncle a vu la moquete que vous nous envoiez il ne rêve plus que moquete. J'ai été témoin de la lettre qu'il vous a écrite ce soir par la quelle il vous prie de lui envoier de la moquete cramoisi. Vous sentez que des sièges de moquetes n'iroient point avec un meuble de damas. Je n'ai point voulu le contrarier, j'ai paru même approuver, mais je vous conjure de n'en rien faire et de m'envoier les 22 aunes de velour d'Utreque en lui mendand que l'emplete étoit faite lors que vous avez reçu sa lettre et que vous n'y avez nulle regret par ce qu'il n'y a point de moquete à Lion dont les couleurs puissent asortir à du damas cramoisi. Moienant cette petite précaution le velour d'Utrec sera très bien reçu et mon sallon sera charment.

Gardez vous bien de lui parler de ma lettre, je serais perdue.

Mon Oncle vous est tendrement attaché, fait des poèmes épiques et des tragédies qui font fondre en larmes, mais il n'entand rien à meubler un sallon. Je me trouverais bien dédomagée de mes peines si je pouvais me flatter de vous recevoir dans cette maison qui doit vous appartennir, que vous nous avez donné la faculté d'aquérir et qui par cette raison me plait davantage.

Il me semble que mon Oncle a pris le seul parti resonable dans sa position, je le crois approuvé généralement, personne ne sçai mieux que vous Monsieur qu'il est sage. Il en paroit contant, c'est tout ce que je désirois.

Si vous voulez répondre à ma lettre je vous prie d'adresser la vôtre à Mr votre frère. Je l'aime de tout mon coeur, mais je n'ai pas le plaisir de le voir aussi souvant que je le voudrais par l'impossibilité où je suis de quiter mon Oncle. Il vient me voir quelque fois. J'ai fait vennir un clafecin de Paris. Nous fesons de grands progets de musique. Vennez nous entandre, nous vous amuserons, Car Monsieur Tronchain est un virtusoe. Pour moi je voudrais pouvoir vous prouver les sentimens avec les quels j'ai l'honneur d'être

Monsieur

Votre très humble et très obbéissente servente

Denis