1755-05-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Vous meublez très-bien nos Délices, Monsieur, je n'avais point d'idée du mérite de la moquette avant d'avoir reçu celle que vous nous envoyez: cela est beau comme du velours à ramage; nous en sommes si enchantés que nous lui donnons la préférence sur le velours d'Utrecht.
Ainsi, Monsieur, si les vingt-deux aunes de ce velours de Lille surnommé Utrecht, ne sont pas parties, nous vous prions de nous vouloir bien envoyer la même quantité de moquette à grandes fleurs cramoisies qui puisse convenir à une tapisserie de damas cramoisi: cela fera un meuble très-agréable, très-bon pour la campagne, et du double moins cher que l'Utrecht. Mais si le dit velours est parti, il sera très-bien reçu, et nous renoncerons à notre belle moquette.

Nous ne cessons ici de vous bénir: vous nous meublez, vous nous peignez, vous nous abreuvez, vous nous sucrez, et nous espérons encor que vous nous huilerez, et que dans l'occasion quand vous trouverez un bon petit baril d'huile bien verte, et bien sentant l'olive, vous nous en ferez part pour manger les truites et les perches de ce beau Lac.

Je suis si honteux, Monsieur, des peines que je vous donne, que je n'oserai plus vous présenter de requêtes. Madame Denis est plus hardie que moi: elle prétend que Mr Mallet était l'homme de Genêve qui avait le plus de chaises et le moins de fauteuils; et malgré la quantité de fauteuils qu'elle a fait venir de Paris, elle vous supplie de vouloir bien lui dépêcher douze petits fauteuils de canne dont quatre bergères, et douze fauteuils de paille dont quatre autres bergères; somme totale huit bergères et seize fauteuils. On dit qu'on les fait à Lyon très-élégamment. Nous nous appercevons tous les jours qu'il faut tout faire venir de chez vous.

Il ne faut pas manquer de vous remercier de la semence de soye: je l'ai fait placer dans des vases. Vous nous filez des jours d'or et de soye; le Docteur Tronchin me les file de casse et de manne: j'ai de tout hors la santé. Madame Denis me consolea et vous aussi monsieur dont les bontez me sont bien chères.

V. t. h. et ob. serv.

V.