à Monrion 20 janvier [1757]
J'ay eu cinquante relations madame de cette abominable entreprise d'un monstre qui heureusement n'était qu'un insensé.
Si l'excez de son crime ne luy avait pas ôté l'usage de la raison, il n'aurait pas imaginé qu'on pouvait tuer un roy avec un méchant petit canif à tailler des plumes. Ce qu'il y a de plus frappant, c'est que ce bâtard de Ravaillac avait trente louis d'or en poche. Ravaillac n'était pas si riche. Vous savez qu'il avait été laquais chez je ne sçais quel homme de robe nommé Maridor, et que son frère servait actuellement chez un conseiller des enquêtes. Ce conseiller a dénoncé ce frére de l'assassin, et ce frère est probablement très innocent. Le monstre est un chien qui aura entendu aboyer quelques chiens des enquêtes, et qui aura pris la rage. C'est ainsi que le fanatisme est fait. Apeine le Roy a t'il été blessé. Cette abominable avanture n'aura servi qu'à le rendre plus cher à la nation, et poura appaiser touttes les querelles. C'est un grand bien qui sera produit par un grand crime.
Le sang va couler à plus grands flots dans l'Allemagne, et il y a grande apparence que toutte l'Europe sera en guerre avant la fin de l'année. Cinq ou six cent personnes y gagneront. Le reste en soufrira. J'ay peur d'être réduit à plaindre Marie, malgré les beaux décrets de l'empereur qui ressemblent assez aux ordres de Mr de Bouillon.
Fontenelle est mort à cent ans, je vous souhaitte une vie encor plus longue.
Je passe mon hiver à Monrion près de Lausane, cela me fait retrouver mes Délices baucoup plus délices au printemps.
Où pourais-je être mieux que dans le repos, la liberté et l'abondance?
Mille tendres respects.
V.