ce 12 Mai 1753
J'arrive de la Campagne Milord, et je me trouve obligée de partir demain pour Strasbourg.
Je Suis désolée de me mettre en chemein Sans vous avoir rendu ce Contrac que vous me demendez. J'ai vu hyer en arrivant M. Dargental. Vous Sçavés qu'il a déménagé. Il m'a dit qu'il étoit après à mettre Ses papiers en Ordre, qu'il cherchoit ce Contrac, et que je pouvais être Sure qu'il me le rendroit dès qu'il l'auroit retrouvé. Je Suis très Sure qu'il ne me l'a pas rendu, et qu'il l'a. Mais Son déménagement est cose de ce menque de Soin de Sa part. Je me gete à vos genoux Milord pour vous prier d'engager Sa majesté prussiene à daigner entrer dans l'embaras où je Suis, et à l'assurer qu'elle Sera Satisfaite et qu'on ne perdra pas un moment. Si ma présance étoit nécessaire pour la recherche de ce papier, je ne Sortirais pas de Paris quelle que chose qui pût arriver. Mais je n'y peux rien, peut être cette recherche ne durera t'elle pas quatre jours, peut être en faudra t'il quinze. Car Dargental a prodigieusement de papiers de toute espèce. Mais je réponds qu'il n'est pas assez étourdi pour en avoir perdu un de cette importance. Et que le roy l'aura avant peu.
Le voiage que je fais me paroît indispensable. Je Sens que mon Oncle a besoin de moi. La vivacité de Son imagination lui a fait commettre bien des fautes, il faut qu'il les répare. C'est un homme, qui a Souffert et que Ses malheurs ont frapés Si vivement, qu'il a besoin qu'on lui remette la teste. Il adorait le roy, il S'en est cru abbandonné, le désespoir l'a transporté hors de lui, mais je crois le connoître assez Milord pour être Sure non Seulement qu'il ne menquera jamais de Respec au roy mais qu'il fera encor tout ce qui dépendra de lui pour mériter Ses bontez. La première chose que j'exigerai de lui Sera de ne plus parler de Maupertuis. Dès que je le Sçus à Leipzik je lui mandai que j'allais l'y trouver, malheureusement j'us trois accès de fièvres Violans qui m'empêchèrent de partir, et j'en Suis d'autant plus fâchée que j'aurais peut être parè cette réponce qu'il a fait à Maupertuis, et d'autres étourderies que j'ignore. Je Sçai que le roy est irrité et voilà mon désespoir. Enfin j'attands tout du temps, de la profonde Connoissence que le roy a de l'humanité, de Ses bontez passez pour mon Oncle et je réponds du Coeur de Mr de Voltaire quand je Serais apportée de le calmer. Je vous répète Milord qu'il adore le roy, et qu'il est capable de lui faire les plus grands Sacrifices. Ainsi je me flate qu'il réparera Ses torts de tout Son pouvoir.
Je mets toute mon espérence en vous, j'ose me flater que vous voudrez bien adoucir le roy et lui mender une parti de ce que je vous marque. Je vous en aurai Milord toute ma vie la plus grande obligation.
Que ne puis je vous convincre des Sentimens d'amitié, d'estime et de respec avec les quels j'ai l'honneur d'être Milord Votre très humble et très obbéissente Servante
Denis Mignot
Comme je ferme cette lettre Mr Dargental entre dans ma chambre. Il m'apprand qu'il est exilé avec la grand chambre à Pontoise, mais il laisse icy Sa femme avec deux Comis pour l'arrengement de Ses papiers. Je vous Suplie d'obtennir un peu de temps d'u Roy et de l'assurer qu'il aura Son contrac.