J'arrive à Paris mon cher amy et c'est mon voyage et celuy que vous me disiés que vous alliés faire à Berne qui m'ont empêché de répondre plus tost à la dernière Lettre que j'ay receue de vous.
Actuellement j'aurois mille choses à vous dire mais je me borne à vous proposer un moyen de nous voir que je crois qui vous conviendra et que je souhaitte qui vous convienne. Sçavés vous qu'il y a à moitié chemin d'icy à Basle dans un beau châtau une Femme belle et jolie qui depuis 3 ou 4 ans a quitté La cour pour se donner toute entière à l'étude de la philosophie et des mathématiques? Sçavés vous qu'elle a pensé remporter le dernier prix de l'Académie? Sçavés vous que Voltaire est chez elle et que sa maison est une Académie universelle de sciences et de bel esprit? Vous voyés combien vous devés connoitre cette maison. Si vous voulés me doner rendés vous en Champagne où est son châtau près de Vitry le François, ou en Lorraine, je vous iray prendre, nous irons ensemble et je puis vous asseurer que vous serés reçeu come vous le mérittés et que nous y aurons du plaisir. C'est la femme de France (indépendamment de la philosophe) la plus aimable et du meilleur caractère. Je suis engagé à y aller imédiatement après la rentrée de l'Acad^ie et je puis vous assurer du plaisir qu'elle aura de vous avoir. Ce n'est pas tout, il faut que m. votre frère y vienne et je vais Le luy écrire, mais je vous prie de l'y engager aussy. Après vous avoir parlé du plaisir que vous ferés à m^e la Marquise du Chastellet, je ne sçaurois vous dire le plaisir que vous me ferés. Répondés moy promptement. Dittes moy jusqu'où vous pouvés venir afin que je m'arrange sur cela. Bonjour mon cher amy.

De Paris 29 oct. 1738