1768-04-03, de Marie Louise Denis à Gabriel Cramer.

Je suis pénétrée de reconnoissence Monsieur de votre lettre que je reçois et qui n'est point datée.
J'ai reconnu dans toutes les occasions importantes votre coeur et votre façon de penser. Vous m'en donnez encor des preuves dans cette occasion ci, et je vais m'ouvrir à vous par ce que je vous reguarde comme mon véritable et solide ami. Mon Oncle est perdu s'il vant Fernex, et je serai dans le dernier désespoir. Que fera t'il, où ira t'il? Il est donc question de l'en empêcher, en disant positivement à tous ceux qui voudroient l'acheter que je m'y opposerai de toutes mes forces et que toutes les tantatives qu'ils feront ne serviront qu'à me brouiller avec lui, mais qu'il ne réussiront pas. Peut être ne lui fera t'on plus de propositions. Au fait la terre est à moi. On ne peut la vandre sans mon consentement. Il est vrai que j'ai envoié ma procuration par ce qu'il se metait dans des fureurs qui me feroient craindre que sa teste ne s'échaufa trop, mais malgré cette procuration je trouverais bien moien encor d'empêcher l'aquisition de la terre. Vous santés Monsieur combien il est important de dire que mon dessin n'est point de la vandre, et qu'en fesant des propositions on ne réussira qu'à me brouiller avec Mon Oncle.

Je ne peux pas vous cacher que Mr Tronchain Calandrin m'a fait une peine mortelle. Comment peut il entrer en marché d'une terre qui m'appartient sans m'en dire un mot? c'est un procédé affreux. Il voulait donc acheter cette terre malgré moi, et me mettre mal avec Mon Oncle? Ah Monsieur que je suis malheureuse!

Cette avanture ci est une effervessence dont Mon oncle a déjà eu quelleques attaques. Celle ci a été plus violante car il a conservé son sanc froit. Il n'a eu aucun espesse de suget de se plaindre de moi n'y de mr et mme Dupuits. Il a prétandu que s'était l'affaire de la Harpe qui nous avait séparé sans vouloir me dire n'y pourquoi ny Comment et je n'as jamais pris le parti de Laharpe.

Il faut laisser rassir cette teste là, il faut tout attendre du temps, et surtout empêcher de laisser vandre la terre. Je ne peux plus douter que le gésuit[e] n'ait fait tout ce bacanal. Mon Oncle est c[omme] un enfant. Ce drôle lui aura tennu de mauv[ais] propos, peut être lui aura fait des mensonges affreux. Je suis ici Comme l'oiseau sur la branche. Si Mr de Voltaire ne m'aide pas et même quand il m'aiderait mon dessin est de retourner à Lion. Ah Monsieur il est bien difficile après avoir reguardé depuis trante année un homme comme son père, après avoir tout sacrifié, après avoir passé 15 ans avec lui de l'abbandonner dans un moment où assurément il a grand besoin de secour. Adieu, déchirez ma lettre. Il n'y a que vous à qui j'ose me confier. Je n'as d'espérence qu'en vous et dans vôtre amitié. Voiez mon Oncle quel que fois, faites le parler, enfin aidez moi. Ne doutez jamais de ma tendre reconnoissence et des sentimens les plus inviolables.

Denis

Déchirez ma lettre.