1776-12-17, de Marie Louise Denis à Alexandre Marie François de Paule de Dompierre d'Hornoy.

Mon cher ami vous nous prenez pour des Mandrins ou tout au moins pour des gens de sac et de corde.
Je vois clairement l'homme qui a pu donner cette belle idée de ce pauvre peti païs à Mr l'intendand.

Si lors qu'il est venu à Boure il avait daigné visiter un moment ce païs il se serait détrompé par ses yeux. Comme il a de l'esprit, de la saguacité et que je le crois juste, loin de nous opprimer il nous aurait procuré les moiens de nous soulager. Mr Fabry alla le trouver à Boure pendand que le marché de Rose se manigantait à Berne. Je crois même qu'il était déjà signé. S'était alors qu'il devait en avertir Mr l'intendand. Il s'en donna bien de guarde. A son retour de Boure je lui en parlai. Il me dit que Rose était dans son droit, que l'article trois de la déclaration du roy otorisait tout particulier à acheter du cel partout où il voudrait et à le vandre où il pourait. Je lui objectai que la province devait donc avoir le même droit d'autant qu'elle n'en abbuserait pas et qu'un particulier le pourait. Il me répondit très sèchement qu'il ne convenait pas à la province de prendre du cel à Berne et il s'en alla.

Ce marché de Rose ce répandit dans le païs et l'on ne douta pas qu'il ne fût le prêtenom de Fabry.

Mr Rieux et Mr de Crassy qui se trouvèrent à Berne à peu près dans ce temps apprirent des bernois qu'ils avoient Conté donner du cel à la province et nom à Rose mais puis que les choses étoient ainsi ils cassoient le marché de Rose et qu'ils nous offrens à 6lt le minot le cel dont nous aurions besoin. Mr Fabry qui était en comerce de lettre avec un Mr Manuel, présidand des cels à Berne, l'informait exactement de tout ce qui se passait. Lors que Fabry vit le marché de Rose cassé il courut chez les sindics faire le bon valet et les enguager à écrir à Mr le Contrôleur général et de faire casser ce marché affin de n'être pas soupçonné et a mendé apparament à l'intendand toutes les faussetez qui ont enfanté vos belles lettres et les sienes.

Il est donc question d'imposer outre toutes les charges ordinaires dix mil écus pour les fermiers généraux avec les acompagnemens qui ne sont pas indiférans.

On veut répartir cet impos sur les vintièmes. Il faut vous dire que les deux vintième de ce païs se montent environ à 20 et unes mille livre. Pour trouver encor dix mille écus sur cet obget il faudra paier aumoins sinq vintième par ce que l'industrie eccepté Fernex n'est rien.

Nous donnons dix mille écus aux fermiers pour être libre. On prand notre argeant et l'on veut nous charger de chaines, nous trouvons un peti soulagement sur le cel et l'on veut nous l'auter en nous fesant passer pour des Contrebandiers. Le fait est que n'y vous n'y l'intendand n'êtes au fait de cette affaire par ce qu'il a été instruit par un homme de mauvaise foi qui a le plus grand intéres à tromper son maitre. Il ne ce fait point de Contrebande ici pour la France n'y ne peut y en avoir.

Primo du côté de la franche Comté, le cel y est encor à meilleur marché qu'ici.

Secondo du côté du Buget il faut pour y aller passer nécessairement par le fort de Lecluse. Les fermiers généraux y ont une armée.

Tertio il n'y a tout au plus que quelque savoiars qui pouroient en venir chercher pour la Savoie, par ce que le cel est plus cher chez eux que chez nous, et s'ils n'en trouvent pas ici ils yront en Suisse en chercher, ils n'ont pas une demie lieue à faire de plus pour y aller.

Je déclare que personne ne fait la Contrebande ici. Des paiesans qui ont du cel à trois sols ne risque pas de s'abimer pour en porter aux autres, mais quand un pauvre misérable paie treze sols la livre de cel et qu'il en trouve à Geneve à trois il n'y a rien qu'il ne fasse pour s'en procurer. Ce sont les exactions qui font naitre la Contrebande. Ce n'était du temps des comis n'y les Suisses n'y les genevois qui la fesoient mais bien les gens de notre païs. Ce sont les malheurs que cette Contrebande entrainait sans cesse qui ont enguagé mon Oncle et les états à demender l'affranchissement du païs. Il parrissoit au moins trois ou quatre charue par an par les saisies de beux et de chevaux pour le cel et pour le blé. On ne trouvait point de fermier et le païs devenait à rien.

Enfin on commence à respirer. Il n'est plus question de Contrebande. Mr Duplex peut en juger par les procès verbaux qu'on lui présante. Je paris qu'il n'y trouve pas un homme du païs.

Mon Oncle a fait l'impossible pour rendre heureux cette petite parcelle de terre. Il y a emploié sa fortune et son crédit. Si on le persécute aulieu de l'aider il n'a pas d'autre parti à prendre que d'aller ailleur vivre en paix et de laisser le champ libre au subdélégué. Depuis qu'il régit ce païs qui a deux lieues de large sur six de lon et qui est ruiné il a aqui trante mille livres de rente tant en montagne qu'en terre. Cela s'apelle bien travailler une province en finance.

Adieu Mon cher ami, lisez ma lettre avec attantion, il n'y a rien que je ne signasse de mon sanc.

Soiez bien sûr qu'on ne fait toute ces menées que pour faire revenir les Comis. C'est une bien bonne danrée pour les subdélégués. Si j'avais la force d'écrir je vous expliquerai cela mais je n'en peu plus. Je vous embrasse et vous aime de tout mon coeur.

Denis

J'écris un mot à Madame Dhornois.