1776-12-25, de Pierre Jacques Claude Dupuits à Alexandre Marie François de Paule de Dompierre d'Hornoy.

Je vais, mon cher ami, te répondre article par article à ta lettre.

Ce que je demande ne peut être contraire à aucun principe d'administration, puisque je ne demande que le maintien d'une liberté accordée, clairément exprimée par un édit du roi. Je suis persuadé que tu convaincras Mr de Bacquencourt quand tu seras convaincu toi même, et tu le seras j'espère quand tu auras relû mon mémoire, et cette réponse à tes objections. Celles des fermiers généraux ne peuvent avoir lieu que quand on les consultera, et qui les consultera? Avons-nous des permissions à leur demander lorsque nous leur payons 30 m. l. pour n'avoir rien à faire avec eux? Je ne le crois pas. Tu me dis que tout le monde est d'accord de la nécessité où du moins de la grande utilité qu'il y a dans la revente des sels par les états. Je suis trés aise que cela ne soit pas contesté; car ce point une fois accordé nous avons pleinement gain de cause.

On n'a rejetté sur l'industrie que 5 m. livres, et la pauvre industrie aura beaucoup de peine à les payer. Je soutiens même qu'elle ne devrait rien payer, et que la soumettre à un impôt c'est l'étouffer dans le berceau. Il reste enfin 25000lt à imposer sur les terres, qui payeront 4 vingtiémes, et 1/4.

Tu dis que les fermiers généraux ont donné le sel dont la province à besoing, et ce au soulagement de la culture, et de l'industrie.

Je réponds: 1. que les fermiers généraux n'ont pas donné tout le sel dont nous avons besoing, et même qu'ils nous ont laissé 9 mois sans nous en donner. 2. qu'ils nous le vendent 40 où 50s plus cher que nous ne l'achetons en Suisse. 3. que le bénéfice fait sur ce sel par les états ne paye que les inthérest dûs par la province, et les réparations de ses ponts, et chaussées.

Il faut te répondre encore sur la facilité de faire la contrebande en Savoye malgré le Rhône qui te semble une barrière, et qui n'en est pas une; et voici pourquoi: c'est que les 2 côtés du Rhône appartenant en partie au genevois, lorsque les Savoyards font la contrebande, il passent par les terres des genevois, traversent sur les bataux de passage, et parvenus dans les terres de Geneve de l'autre côté du Rhône ils gagnent aisément leurs villages, et sans risque lorsqu'ils portent du sel rouge qui est le même dont ils se servent. Je sai bien que le roi ne donnera jamais une permission de faire la contrebande dans un paiis étranger, mais il ne s'y opposera pas plus que le roi de Sardaigne ne s'oppose aux versements des tabacs qu'il tire d'Hollande, qu'il fait ficeler en carottes semblables à celles de France, et qu'il fait vendre sur ses frontières. Tu te trompes quand tu dis que le sel est plus cher en comté qu'ici, on n'y trouverait pas les frais du transport; on nous en livre même pr nos fromages à meilleur marché que dans ce paiis. J'ai des terres en comté, et je sai le prix du sel.

Tu me dis que je me mocque de toi quand je dis que nous consommons plus de sel; tu dis que nous l'avions à 6s. Je vois que tu n'as pas entendû cet art. de mon mémoire. J'ai dit que dans un paiis de bestiaux on consomme plus du double du sel à 3s qu'à 10 ou 11, et je soutiens que j'ai raison car j'ai mon expérience, j'en ai consommé plus du double. Ajoutés ensuite celui qui s'achetait en contrebande, et qui était une moitié, au moins et tu verras qu'il en faut beaucoup plus que les fermiers n'en ont donnés. La consommation allait à 1500 minots, et elle à doublé et plus, mais mettons simplement le double, nous trouvons 3000 minoz, ajoutons les 1500 qui entraient en fraude en voilà 4500. Mais jamais on n'a voulû en introduire 8400.

Mrs des états n'ont pas prétendus ôter aux particuliers le droit de faire le commerce du sel, ils ne se sont plaints du marché de Rose que parceque Rose avait demandé au nom de la province; car sans cela il eût été dans son droit. Mrs des états ne doivent avoir sur leurs concurrents d'autre avantage que celui d'avoir plus d'accès, et de protection auprés des administrateurs des états voisins. J'avoue que la lettre écrite contre Rose ne devait pas être écrite. C'est Mr Fabri à qui on en a l'obligation.

Tu me dis que Mr Fabri est le seul qui entende les affaires; non, mon ami, il a toujours tiré à lui toutes les affaires; mais je t'assure que Mr Rhoup de Visignien serait meilleur sindic de province que lui. D'ailleurs mon ami tu sens bien que le même homme fût-il un ange, ne peut pas avoir tant de charges contradictoires. Celle de subdélégué, et celle de sindic du tiers êtat ne doivent point être dans les mains du même homme qui tient outre cela au corps de la noblesse.

Je t'assure, mon ami, que je suis trés fâché que Mr l'intendant ne soit pas venû dans ce paiis cette année, il aurait vû dans un moment ce qu'on ne pourra peut être que difficillement lui persuader. On ne demande pas mieux que de se concerter avec lui; c'est le désir des administrateurs, et celui des particuliers; tu vois que c'est le mien; je ne t'ennuyerais pas par de si longues lettres, si ce n'était pas pour t'établir nôtre rapporteur auprès de l'intendant. Je lui écrirais directement si j'étais plus particulièrement connû de lui. Si tu étais intendant de Bourgogne (dis-tu) tu nous proposerais le choix où de laisser le commerce du sel libre sans obliger la ferme en nous en fournir, et pour lors les états n'auraient pas de privilège exclusif, où &c.

Je t'assure mon ami que c'est ce que je désire. Persuade cela à Mr de Baquencourt; mais alors il faut faire dire par Mr de Vergenes à Mrs de Berne que le roi ne trouvera pas mauvais qu'ils nous fournissent du sel. Je te répète, mon ami, que jamais les états n'ont demandé 8000 minoz de sel. Le marché de Rose une fois cassé, ils ont demandé au souvrain de Berne de leur en donner quand ils en auraient besoing, et la demande qu'on projettait de faire n'aurait jamais excédé 4500 minoz ce qui doit être la mesure à peû prés juste de nôtre consommation.

Mr Borsat voulait t'écrire pour te remercier de tout ce que tu as fait pr son fils; je lui ai dit que je m'en chargais. Présente mes Respects à ta femme, la mienne me charge pour la tienne, et pour toi de cent mille choses. Adieu, je t'embrasse du meilleur de mon coeur.