à Paris le 4 Xb 1776
J'ay reçu, Monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 25 du mois dernier, et j'ay vu avec une satisfaction véritable, que les étrangers établis à Ferney s'étoient présentés d'eux mêmes à l'impôt sur l'industrie.
Le Rolle m'a été envoyé et je ne puis qu'approuver les Bases qu'on a posées. Il est si intéressant pour votre pays, de donner à sa nouvelle constitution toutte la solidité possible, que tout le monde doit y concourir avec le plus grand zèle et le plus grand empressement. Rien ne seroit plus contraire à cette solidité si désirable, que le projet peu réfléchy de faire de votre canton, un entrepôt permanent de contrebande, et de tous les habitans, des fauxsauniers invétérés, qui graviroient sans cesse tous les défilés du mont Jura, pour vendre le sel en fraude, si l'on en remplissoit le pays au delà de sa consommation. Ce seroit abuser manifestement des faveurs que le ministère vous a prodiguées, et prouver combien peu on en étoit digne. Le seul plan raisonnable à suivre, c'est de tenir des fermiers généraux, un approvisionnement plus ou moins considérable, chaque année, proportionné à vos besoins, et qui augmenteroit avec votre population, lorsque le pays veilleroit luy même, pour empêcher tout versement frauduleux, soit dans le Bugy, soit dans la Franche Comté. Mais aller porter l'argent de la France dans le canton de Berne, mais animer tous les colons d'un esprit de contrebande, et former par degrés, une génération de voleurs et d'assassins, c'est ce qu'un gouvernement sage, ne souffrira jamais. Tous les ministres, viennent de se réunir pour anéantir le marché de Rose, et ce seroit le moment qu'on choisiroit pour faire le même traitté au nom de la Province, comme si les mêmes raisons, ne militoient pas contre l'un, et contre l'autre. La simplicité de l'opération, monsieur, vous a séduit, et vous avés obmis de songer aux conséquences, et à la résistance invincible, qu'elle éprouveroit. Consommés le sel que la province vient d'acquérir, si cette consommation se fait de bonne foy. L'année révolue, vous pourrés obtenir, un approvisionnement plus considérable, surtout si comme je n'en doute pas, le nombre de vos consommateurs augmente. Le bénéfice graduel que le gouvernement vous authoriseroit à faire, sur la revente du sel, vous procureroit successivement une aisance, qui tourneroit ou à la décharge des impositions, ou à l'embellissement et à l'amélioration de votre joli pays. Voilà monsieur les seules vues praticables et honnêtes, et qui empêcheroient tout retour sur votre position actuelle.
J'espère, monsieur, que vous serés frappé de la force de ces raisons, je me plais à vous les détailler, dans l'espoir qu'elles vous convaincront. Ne jettons pas tout dans un arbitraire, dans des irrésolutions, dans des devis de payemens, qui vous seroient funestes. On a soulagé les terres d'une partie du fardeau, mais il est juste qu'elles contribuent à une indemnité qui est le prix des avantages qu'elles reçoivent, et de l'augmentation que tous les fonds doivent éprouver, et enfin de cette précieuse liberté, que vous avés désiré si ardemment.
Vous avés sans doute fait passer des mémoires à m. de Boullongne. Je le verray, Monsieur, et m'entretiendray avec luy, des arrangemens que vous souhaités pour votre colonie. Elle me paroit mériter toutte faveur, et toutte protection.
J'ay l'honneur d'être avec un véritable attachement, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Dupleix