Monsieur,
En attendant que nos sindics aient l'honneur de vous envoier notre mémoire en forme, permettez que je vous supplie de lire la lettre que j'écrisà Mr Bouret, mon ami, frère de Mr d'Erigni, notre ennemi.
Il est avéré monsieur que ce sont deux ou trois regratiers de sel qui craignant de perdre leurs emplois soulèvent quelques fermiers généraux contre votre arrangement et contre vos ordres.
Je peux vous assurer monsieur qu'il n'y a pas un mot de vrai dans le mémoire de Mr Derigni adressé à M. le contrôleur général, sinon que tous nos paysans font et feront toujours la contrebande du sel et du tabac. Trois cent gardes ne l'empécheraient pas, attendu que touttes les femmes qui vont à Geneve mettent du sel et du tabac dans leur chemise, et qu'il n'y a pas encor de loy qui ordonne expressément de trousser les femmes dans les bureaux des fermes.
C'est donc pour prévenir cette contrebande, c'est pour épargner aux fermiers généraux des frais immenses et inutiles, et en même temps pour favoriser notre petit pays, que vous avez monsieur ordonné très sagement le sel forcé sur les représentations mêmes des fermiers généraux.
Vous verrez monsieur en jettant un coup d'œil sur ma lettre à mr Bouret, quels prétextes frivoles on employe pour désavouer vos volontez.
Je suis persuadé qu'indépendemment de votre autorité, vous pourez aisément faire entendre raison à Mr d'Erigni. Il verra qu'on l'a trompé; et il se rendra à vos raisons.
J'ignore monsieur si c'est vous ou monsieur votre fils qui traitte cette affaire. Je présente mon respect et ma requête à l'un et à l'autre.
Je crois que c'est icy une affaire de conciliation. L'objet n'est presque rien pour les fermes du roy, et est pour nous d'une extrême importance. Je sens bien que nous sommes perdus si les fermiers généraux s'obstinent à vouloir se tromper, mais si vous daignez nous protéger, et parler, nous sommes sauvez.
J'ay l'honneur d'être avec beaucoup de respect et d'attachement
Monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire