1776-12-14, de Pierre Jacques Claude Dupuits à Alexandre Marie François de Paule de Dompierre d'Hornoy.

Mon cher, et bon ami je t'ai écris hier huit pages, et je n'ai eû ni le temps, ni la place dans mon papier pour te remerçier en mon nom, et au nom de Mr& Mde Borsat de tout ce que tu as fait pour leur fils; reçois donc aujourd'hui leurs remerçiements, et les miens.
Le père se conforme entièrement à tes conseils, et tiendra son fils encor un an chez un procureur. Je te supplie de vouloir bien le recommander dans cette nouvelle étude, et de dire à son procureur de force sa paresse, et sa nonchalence, et de te dénoncer ses fautes.

Au nom de dieu, mon ami, fais usage des lettres que je t'ai écrites hier, et tâche de faire revenir l'intendant des impressions fâcheuses qu'il a sur ce paiis.

Il a écrit une lettre à Mr de Voltaire qui me prouve qu'il Reçoit de bien faux mémoires de ce paiis ci. Il mande en propres mots qu'on veut faire ici par degré une génération de voleurs, et d'assassins. Je te jure avec la franchise, et la vérité qui sont dans mon caractère qu'il n'y a pas un païsan de ce paiis qui ait songé à faire la contrebande depuis que nous sommes délivrés des commis. Ce n'est jamais dans les paiis où le sel est à bon marché que l'on fait la contrebande; quand le sel était cher ici les Suisses ne venaient jamais nous en apporter; par la même raison nous n'en portons pas aux autres.

Je t'avoue, bien que le sel Rouge que nous ont donné les fermiers généraux est journellement enlevé par des Savoyards auxquels leur Roi donne de même du sel Rouge, cela diminue les risques qu'ils ont à courir, et ils viennent acheter de ce même sel que les commis du roi de Sardaigne ne peuvent pas saisir par sa Ressemblance extrême avec celui des fermes de Savoye. Voilà la vérité. Mais aucun de nos habitants ne porte ni sel, ni tabac, ni en Savoye, ni en France. La démarche des états auprés de Mrs de Berne ne peut être condamnée. Voici l'objet de cette mission:

Remercier de ce qu'on nous avait donné du sel lorsque les fermiers généraux ne nous en donnaient pas; les prier de n'en pas donner à de simples particulier, et de n'en donner qu'aux états quand ils justifieraient qu'ils en auraient besoing.

Il faut que je t'ajoute encore un mot sur la nécessité où est la province de faire un petit bénéfice sur le sel. Pour te le prouver il suffit de te dire que dans le temps où les fermiers généraux le vendaient si cher, on avait été cependant obligé d'en augme[nter] le prix de 6lt par minoz au profit de la province qui n'a presque point de revenus, et qui a de si grosses dépenses à faire qu'elle s'était endettée pr construire des ponts, et des routes de 200000lt. Tu vois donc bien que nous sommes loings de payer toutes nos charges, et nôtre indemnité avec les bénéfices du sel.

Il est essentiel que Mr de Vergennes donne une interprétation à sa lettre au souverain de Berne, afin que dans un cas de nécessité nous puissions avoir recours à nos voisins. Adieu, je t'embrasse tendrement.

Dupuits