à Ferney 15e xbre 1775
Monseigneur,
Jusqu'à ce que vous m'aiez imposé silence il faudra bien que je vous importune.
Je dois d'abord vous dire qu'il n'était point du tout aisé d'obtenir de nos chétifs états cette acceptation unanime, et cette reconnaissance respectueuse. Une grande partie de ce qu'on appelle le clergé, était très éffarouchée, et les Trente mille Livres allarmaient tout le monde.
Je ne vous parlerai plus de procurer le paradis à Messieurs les soixante, en les engageant à une aumône de cinq à six mille Livres; je les crois damnés sans rémission, car le jour que nous étions assemblés pour obéir à vos ordres, les troupes de ces Messieurs coururent toute la province, arrêtérent toutes les voitures, forcèrent les maisons des païsans, leur firent accroire que leur sel et leur tabac étaient de contrebande, et les rançonnèrent impitoiablement. Si ces pandoures en usent ainsi jusqu'au 1er janvier, je ne réponds pas qu'à la fin les communes ne s'assemblent, et ne leur répondent à grands coups de fusil.
Mr Hennin, Résident du Roi à Genêve, a été témoin plusieurs fois des horribles véxations que ces emploiés commettent journellement, et il en a écrit à Mr De Vergennes, qui sans doute vous en aura rendu compte.
Je n'entrevois que de fort loin, avec de mauvais yeux, et de mauvaises lunettes, vos grands desseins de rétablir l'ordre et de simplifier les recettes du roiaume. Mais je bénis vôtre ministère, quelque chose que vous fassiez, parce qu'il est démontré que la probité éclairée ne peut jamais faire que du bien.
Permettez, Monsieur, à ce vieux malade de quatre vingt deux ans de crier jusqu'à son dernier soupir, qu'il vous regarde comme un très grand homme.
V.