[13 December 1776]
Mon cher ami, je te supplie de lire avec la plus grande attention ma grande lettre cy jointe, elle ne contient que des faits vrais, et j'espère que tu voudras bien avoir une conférence sur cet objet avec Mr Dupleix, à qui tu peux lire ma grande lettre; je vais ajouter encore ici quelque chose sur ce même objet.
J'ai toujours pensé comme toi, mon ami, que nous devions faire tranquillement, et secrètement nos petites affaires dans nôtre petit païs sans ennuyer sans cesse les ministres des détails de nôtre administration; mais dans le nombre des administrateurs est un Mr Fabri qui est en même temps premier sindic de province, noble, subdélégué de l'intendant, maire de la ville de Gex, maître de la poste à Versoix, fermier du domaine, reçeveur des deniers de la province &c. &c. Tu sens bien ce que qu'il fait comme sindic en secret, il en fait part comme subdélégué aussi en secret; tu sens bien aussi qu'il peut arriver que telle chose avantageuse au païs, et qu'il devrait approuver comme sindic, peut être nuisible à Mr le reçeveur, d'où il arrive qu'il discute dans sa tête ce qui vaut le mieux pour lui, et non ce qui vaut le mieux pour nous, et c'est ce qui est arrivé dans ce cas ci.
Mrs les sindics étant informés qu'un nommé Rose avait fait un marché de 6000 minoz de sel en Suisse, un d'eux écrivit à Berne; on lui répondit qu'en donnant se sel à Rose on avait crû obliger la province. Fabri de son côté disait que par les lettres patentes tout particulier avait droit à ce commerce; quelques malins dirent dans le public que Rose pourrait bien n'être qu'un prête nom; Fabri s'est crû blessé, et pour se disculper, et casser le coû à ses collègues, et à la province, au lieu d'envoyer quelqu'un à Berne pour demander la cassation du marché de Rose, ce qui aurait été accordé, et qui l'a même été avant la lettre de Mr de Vergennes, au lieu dis-je de se contenter de cela il à écrit à Mr l'intendant, à Mr le Contrôleur général, à dénoncé Rose comme un contrebandier, et à fait signé la lettre par quelques membres de l'administration, et par ces lettres ridicules nous à tous compromis avec le ministère, et même avec les Bernois qui avaient les meilleures intentions du monde.
Il est seûr mon ami que 2300 minoz que les fermiers généraux nous ont donnés ne nous suffisent pas parceque nous en donnons quatre fois plus à nos vaches qu'autrefois; il est seur encore que s'il en sort du païs ce n'est pas pr aller en France dont la frontière est bien gardée; mais il en passe beaucoup en Savoye. D'après cela tu dois juger 1. que nous en consommons 5 ou 6 fois d'avantage qu'autrefois; 2. qu'il faut que nous ne soyons pas astreint à le prendre des fermiers généraux, parceque si par malheur ils revenaient dans ce païs ils nous objecteraient sans cesse nôtre consommation actuelle sans vouloir entendre que dans un païs de bestiaux on mange 3 livres de sel à 3s lorsqu'on n'en mange pas une livre à 10s, parceque le sel n'est pas d'une nécessité indispensable pr les vaches comme pour la soupe, quoiqu'il leur soit très util. Il serait donc très cruel, que nous ne pussions nous approvisionner qu'auprès des fermiers généraux qui d'ailleurs ne sont pas aussi généreux que les Bernois qui nous auraient donné leur sel au prix coûtant. Tu me mandes dans ta lettre que la province fait déjà sur le sel des fermiers généraux un bénéfice considérable en déduction de l'indemnité; eh mon dieu non; la province est percé de grandes routes; il y en a au travers des montagnes; une autre qui conduit à la ville imaginaire de Versoix; la pauvre province s'est endettés de près de 200 milles livres, il faut qu'elle paye les inthérest de ces sommes, et qu'elle réparé, entretienne ces ponts &c.
En voilà assez sur ces objets sur les quels j'attends ta réponse. Quant à ta tante relativement à ma fille tout est arrangé, elle a senti elle même la nécessité de la mettre au couvent, elle sçait qu'elle doit y aller au printemps, et ne s'y oppose pas. Je te fais mille remerçiements pour tout ce que tu as fait, pour Mr de Borsat; je verrai le père au premier jour, où je lui écrirai.
Présente mes Respects à ta femme, dis lui mille choses pour la mienne. Adieu, je t'embrasse de tout mon Cœur.
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