1755-05-23, de Marie Louise Denis à Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes.

Permettez moi Monsieur de rompre un silence que j'ai gardé avec vous dans la crainte de vous fatiguer de mes lettres.
Je comte toujours sur vos bontez et je croirais manquer de reconnoissence si je ne m'adressais à vous sur des inquiétudes qui ne me paroissent que trop bien fondées.

Nous apprenons du fond de notre retraitte que la Pucelle se répand à Paris, qu'on la lit dans des cercles et qu'on s'amuse à remplir les lacunes de choses fort indécentes, et heureusement assez mal tournées.

Mon Oncle a mille raisons pour craindre l'impression de cet ouvrage. Il n'a point été fait pour voir le jour, il y a trente ans qu'il n'y a travaillé et il seroit au désespoir qu'à son âge on pût lui imputer tant de follie et peut être beaucoup de chose que la malice peut y ajouter et qu'il n'avoit pas faites.

Je ne peux pas me persuader qu'un homme raisonable puisse prendre sur lui de la mettre au jour. Mais je crains les petis auteurs affamés.

Daignez donc Monsieur donner des ordres pour prévenir ce malheur, vous rendrez un service au public en empêchant qu'on ne lui donne un ouvrage déffiguré et vous obbligerez sensiblement mon Oncle et moi. Nous vivons en paix dans une retraite où il ne songe qu'à rendre sa santé moins mauvaise et cet événement lui donnerait un chagrin mortel.

Je sçai que vous ne pouvez pas parer les païs étrangers mais Monsieur vos Ordres peuvent intimider et empêcher qu'on ait la hardiesse de tenter l'impression.

Je mets toute mon espérence en vous et je voudrais pouvoir vous prouver les sentimens d'attachement avec les quels j'aurai l'honneur d'être toute ma vie

Monsieur

Votre très humble et très obbéissente servente.

Denis