1753-08-26, de Marie Louise Denis à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ai à peine la force de vous écrire, mon cher oncle: je fais un effort que je ne peux faire que pour vous.
L'indignation universelle, l'horreur et la pitié que les atrocités de Francfort ont excitées, ne me guérissent pas. Dieu veuille que mon ancienne prédiction que le roi de Prusse vous ferait mourir, ne retombe que sur moi! J'ai été saignée quatre fois en huit jours. La plupart des ministres étrangers ont envoyé savoir de mes nouvelles. On dirait qu'ils veulent réparer la barbarie exercé à Francfort. Il n'y a personne en France, je dis personne sans aucune exception, qui n'ait condamné cette violence mêlée de tant de ridicule et de cruauté. Elle donne des impressions plus grandes que vous ne croyez. Milord maréchal s'est tué de désavouer à Versailles et dans toutes les maisons tout ce qui s'est passé à Francfort. Il a assuré de la part de son maître qu'il n'y avait point de part. Mais voici ce que le sieur Federsdorff m'écrit de Potsdam, le 12 août: Je déclare que j'ai toujours honoré m. de Voltaire comme un père, toujours prêt à lui servir. Tout ce qui vous est arrivé à Francfort a été fait par ordre du roi; finalement je souhaite que vous jouissiez toujours d'une prospérité sans pareille, étant avec respect &c.

Ceux qui ont vu cette lettre ont été confondus. Tout le monde dit que vous n'avez de parti à prendre que celui que vous prenez, d'opposer de la philosophie à des choses si peu philosophes. Le public juge les hommes sans considérer leur état; et vous gagnez votre cause à ce tribunal. Nous faisons très bien tous deux de nous taire. Le public parle assez. Tout ce que j'ai souffert augmente encore ma tendresse pour vous, et je viendrais vous trouver à Strasbourg ou à Plombieres si je pouvais sortir de mon lit &c.