1753-08-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Johann Carl von Fichard.

Monsieur,

Vous ne pouvez ignorer l'effet que la violence inouïe exercée dans votre ville contre trois étrangers a fait dans toutte l'Europe.
Vous savez que M. le comte de Bergen, commissaire impérial, a déjà écrit au conseil de Francfort. Sa majesté le Roy de Prusse a désavoué formellement cette violation du droit des gens qu'il n'avait pu ny ordonner ny prévoir. Ainsi, monsieur, soit que le roy de Prusse ait répondu aux mémoires que Le conseil luy a envoyez, soit que ses affaires l'aient obligé de différer cette réponse, il laisse à votre justice et à votre honneur la liberté d'agir dans toutte son étendue. Je ne cesserai de demander qu'on nous rende aumoins l'argent que les srs de Freitag et Smith ont pris dans nos poches, comme si nous avions été des voleurs de grand chemin. Monsieur Colini étant sujet de sa majesté impériale et moy officier du Roy de France, nous espérons que ces deux titres contribueront à nous faire rendre justice. Nous nous flattons qu'aiant été arrétez sans aucune réquisition formelle de sa majesté prusienne, et sur la seule parole des Srs Freitag et Smith et une dame respectable ayant été si indignement traittée sans le moindre prétexte, vous n'exigerez pas des formalitez pour nous faire rendre justice, quand vous n'en avez pas exigées lors qu'on nous a ôté notre liberté et nos effets. Nous sommes persuadez, monsieur, que vous ferez cesser les cris d'indignation qui s'élèvent de tous côtez contre la conduitte atroce des srs Freitag et Smith. La gloire de votre ville le demande. S'il y a encor quelque justice sur la terre, c'est assurément dans cette occasion qu'on l'attend de vous. Il n'y a pas d'apparence qu'on fasse payer à une dame voiageant avec un passeport du roy de France les frais d'un emprisonement dont les srs Freitag et Smith doivent luy demander pardon. Nous remettons tout à l'équité et à la prudence du conseil.

Je suis avec des sentiments respectueux et j'espère être avec reconnaissance, monsieur, votre très humble et trés obéissant serviteur

Voltaire