1753-07-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Johann Erasmus von Senckenberg.

Mon cher Ciceron saura qu'on a déjà demandé dix écus pour les frais d'un procez à peine commencé.
Si cela continue, il vaut mieux tout perdre. Quoy! on m'aura pris mon argent dans mes poches, et il en coûtera encor pour ne le pas faire rendre? et on me renverra à l'approbation qui viendra de Berlin de tout ce qu'ont fait Freitag et Smith? Il y a grande apparence qu'on ne les désavouera pas. On soutient toujours ses ministres, surtout quand on veut mortifier ceux que ces ministres ont vexés. Voylà monsieur une persécution poussée jusqu'à la dernière extrémité. Ne pouriez vous pas opposer vos bontez et votre justice à ces horribles chicannes. Ne pouriez vous pas obtenir du moins du conseil ou de Mr Fichard qu'il engageât Smith à l'amiable à rendre l'argent qu'il a pris à mon secrétaire et à moy? Qu'a de comun cet argent avec le désaveu ou l'aprobation de cet injuste emprisonement? Certainement celuy au nom du quel Freitag et Smith ont agi, n'a pas ordonné qu'on nous prît notre argent dans nos poches? Il faut certainement le rendre. De quel droit Smith le retient il? en a t'il un autre que celui des voleurs? Enfin monsieur ne pourait il pas le remettre entre les mains de qui on voudrait? ne pourait on pas obtenir cette justice, en attendant que je visse quel party je dois prendre?

Je vous demande bien pardon de tant d'importunitez, mais à qui aurai-je recours si non à mon Ciceron qui a signalé son équité et son zèle dans une vexation si odieuse? Je luy fais les compliments les plus tendres, et les remerciments les plus sincères.