1759-04-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à César Gabriel de Choiseul, duc de Praslin.

J'ay mandé Monsieur au bon homme Ralph qu'il avait fait rire une excellence qui va dans le pays de l'ennuy. Ce loustik en est tout ragaillardi. Il dit que ce qui désirait le plus dans le plus sot des mondes possibles était de réjouir un petit nombre de gens d'esprit comme vous qui ne sont de ce siècle en aucune façon. Il prétend que si vous voulez le faire avertir par quelque rieur de vos amis, il vous fera présenter à Strasbourg de quoy vous amuser sur la route, et de quoy jetter dans le Danube.

N'oubliez pas la spirituelle, l'éloquente, la sucrée, la romanesque, la bavarde comtesse de Bentink quand vous voudrez savoir au juste tous les rogatons de Vienne.

Si j'étais homme à me vanger d'un certain Freitag, agent du roy de Prusse, cydevant mis au pilori en Saxe et maintenant serré à Dusseldorf, et d'un coquin de Smith, faux monoyeur de Francfort, conseiller du roy de Prusse, qui me volèrent, en saussant ma nièce dans le Ruissau, et du roy de Prusse luy même qui employe ces dignes agents, je pourais aller plaider à Vienne car c'est une chose délicieuse de se ruiner au conseil aulique pour ruiner Smith et mortifier Federic; mais j'aime mieux bâtir des châtaux, puisqu'ils ne sont pas en Espagne. Je souhaitte à votre excellence tous les succez dont je ne doute pas. Elle est bien persuadée de mon tendre respect.

V.