à Strasbourg 27 aoust [1753]
Je suis toujours très malade, et je crains que vous ne le soyez.
J'ay reçu ma chère enfant votre lettre du quatre aoust adressée à Plombieres, et renvoyée à Strasbourg. Vous dites que votre état continue toujours.Cela suppose malheureusement une première lettre qui annonçait une maladie. Je vous demande en grâce de me tirer d'inquiétude. Parlez moy de vous, et ensuitte vous me parlerez de nos affaires.
J'aprends une nouvelle accablante. On dit qu'on a imprimé une espèce de satire sur la cour de Berlin dont vous me parlâtes dans vos lettres, il y a près d'un an. Cette rapsodie est, dit on, d'un stile assez bas. Mais ce qu'il y a de cruel, c'est qu'on y a joint une lettre que je vous écrivis le 9 juillet de Mayence. On croira aisément que le tout est de moy. Les hommes ne se donnent pas la peine de raisonner quand il s'agit de condamner. Je ne doute pas que vous et vos amis vous ne fassiez les démarches convenables dans une si triste avanture. Un malheur ne vient jamais seul. En voylà assez honnêtement les uns sur les autres. Tout cela tombe sur un corps languissant et mourant, et la crainte que vous ne soyez malade m'achève. Si du moins vous vous portez bien je serai consolé. Vous verrez avec vos amis ce qu'il y a à faire. Je n'ay quitté la cour de L'Electeur palatin et je ne me suis arraché à ses extrêmes bontez que parce que vous l'avez voulu. Madame la duchesse de Gotha m'écrit les lettres les plus pressantes pour m'engager à retourner chez elle; je n'aurais jamais dû la quitter, mais je ne m'en repens pas, je vous ay vue. Je ne me repends que de vous avoir vue à Francfort. Il serait bien affreux qu'après la manière indigne et barbare dont vous y avez été traittée, on voulût encor augmenter nos peines. Je ne peux prendre aucun party que vous ne m'ayez écrit et que ma santé ne soit raffermie. Mais je vous prie ma chère enfant de considérer qu'il y a des occasions où il faut se dérober au monde, et aux malheurs que le monde aime toujours à redoubler. On se plait à déchirer les blessures des malheureux. Il faut les cacher. J'attends vos lettres pour me décider. Dieu veuille que mon retour en France ne me soit pas funeste. Quelque chose qui m'arrive, je tâcherai de suporter avec courage des malheurs que je n'ay pas méritez. Si vous pouvez m'envoier mes papiers, vous de ferez plaisir. Je vous prie encor d'y joindre mes lettres, je vous rendrai le tout bien fidèlement, c'est à vous que je dois confier le soin du présent et de ma mémoire. Adieu ma chère enfant. S'il y a une lettre de vous en chemin je suis heureux.
Il se peut, et je me flatte que vous m'avez écrit sous l'enveloppe de M. Gayot comme je vous ay écrit dans la rue des deux boules. Mais Mr Gaiot est à Plombieres. On n'y va que pour son plaisir, et je suis trop malade encor pour faire ce voiage, que je ferais pourtant s'il fallait sacrifier ma santé aux convenances.
J'aprends dans ce moment qu'il y a une ancienne lettre de vous qui a voiagé de Mayence à Manheim et à Francfort, et qui me sera bientôt renvoyée. Mais j'attens les derniers éclaircissements de vous dans votre première lettre. Vous pouvez m'écrire en droiture. Vous pouvez vous servir de l'adresse de Mr de Frenee, directeur général des postes à Strasbourg. Je vous embrasse encore une fois. Je supporte mes maux. Je suis inquiet des vôtres. Je vous aime de tout mon cœur et vous aimerai jusqu'au dernier moment.
V.