1753-08-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Je m'approche du midy à pas lents en regrettant cette Turinge que votre altesse sérénissime embellissait à mes yeux, et où elle faisait naitre de si beaux jours.
Il semble que vos bontez aient donné l'exemple. J'ay trouvé à la cour de Manheim une image de ces bontez dont j'ay été comblé à Gotha. Cela ne sert qu'à redoubler mes regrets, je les porterai partout. Il faut enfin aller à Plombieres, suivant les ordres des médecins et des rois, deux espèces très respectables, avec les quelles on prétend que la vie humaine est quelquefois en danger. Mais je supplie votre altesse sérénissime de considérer combien je luy suis fidèle. Il n'y a point d'ancien chevalier errant qui ait si constamment tenu sa promesse.

J'ay achevé Charles quint tantôt à Mayence tantôt à Manheim. J'ay été jusqu'au chimiste Rodolphe second. J'ay songé de cour en cour, de Cabaret en cabaret, que j'avais des ordres de madame la duchesse de Gotha. Je voiage avec des livres comme les héroïnes de roman voiageaient avec des diamants et du linge sale; je trouverai à Strasbourg des secours pour achever ce que mon obéissance à vos ordres a commencé. Mais madame qu'il sera dur de vous obéir de si loin! Je ne ferai jamais qu'une seule prière à Dieu, je luy diray, Donnez moy la santé pour que je retourne à Gotha.

Je me flatte que la grande maîtresse des cœurs me conserve toujours ses bontez, qu'elle me protège toujours auprès de votre altesse sérénissime. Je me mets à vos pieds madame avec quarante empereurs, préférant assurément la vie heureuse de Gotha à touttes leurs avantures. Je seray attaché le reste de ma vie à votre altesse sérénissime avec le plus profond respect et une reconnaissance inaltérable.

Permettez moy madame de présenter les mêmes sentiments à Monseigneur le Duc et à votre auguste famille.

V.