à Plombieres 18 juillet 1754
Madame,
Je m'en retourne en Alzace où je trouverai du moins le portrait dont vous m'avez honoré. Votre altesse sérénissime est je crois àprésent dans son Royaume d'Altembourg. Je me flatte que la grande maîtresse des cœurs a eu assez de santé pour la suivre. C'est cette santé qui est le point capital. Il en faut assurément pour voiager. On me mande de Berlin qu'il court une pièce de vers intitulée épitre à moy même. Elle est dit on très indécente, surtout dans les circomstances présentes, et on a la cruauté de me l'attribuer. Ce sont des tours qu'on me jouera souvent; mais ma conduitte dément assez ces impostures; et le roy de Prusse me rendra toujours, à ce que j'espère, la justice qu'il m'a déjà rendue contre ces ridicules calomnies. Le fils du maréchal de Belleisle a été fort fêté à Berlin, et il a très bien réüssi. Il ressemblera en tout à son père. Je m'imagine qu'il a été à la cour de votre altesse sérénissime et qu'il y passera en revenant de Berlin. Ce n'est pas assez de faire des revues, et de voir des bataillons et des escadrons. Cela n'est bon qu'en temps de guerre, et les vertus et les grâces sont de tous les temps. Je vais quitter Plombieres. Cette nièce qui me fit partir de Gotha et qui fit ce malheureux voiage de Francfort, vient encor avec moy tâter de l'Allemagne, mais c'est de l'Allemagne française. Elle m'a accompagné aux eaux, elle m'accompagne à Colmar; c'est une belle passion, plût à dieu qu'elle eût la même passion que moy pour la Turinge, et qu'elle pût venir passer quelques jours dans une maisonnete aux pieds du châtau d'Ernest? Votre altesse sait que j'ay fait mes prières au destin qui règle touttes choses dans ce monde. Laa nature ne m'a pas tué à Plombieres. Le destin m'empêcherait il d'aller à Gotha? et puisque mon cœur y est, pourquoy ma triste figure n'y serait elle pas?
Je ne sçai nulle nouvelle digne d'être mandée. L'insipidité s'est emparée de l'Europe. Je ne connais de vif que les sentiments qui m'attachent avec le plus profond respect et la plus tendre reconnaissance à ce qu'il a de plus estimable au monde.
V.