à Colmar, 4 octobre [1754]
Madame
J'ay respecté les états d'Altembourg; je n'ay point osé mêler mes inutiles lettres aux affaires de votre altesse sérénissime.
Mais si elle est actuellement dans son palais tranquile de Gotha, qu'elle daigne y recevoir mes hommages. C'est à Gotha qu'ils doivent s'adresser, c'est là que j'ay passé les plus beaux de mes jours. Si votre altesse sére daigne toujours s'y occuper de L'amusement des belles lettres je luy demande la permission de luy envoyer le manuscript d'une nouvelle tragédie qui a du moins le mérite de la singularité. Je veux vous envoyer mes enfans madame, ne pouvant moy même venir me mettre à vos pieds. Je ne sçai par quelle fatalité je reste à Colmar quand je pourais être mieux. J'avais imaginé de passer par la cour palatine pour aller à la vôtre. Mais je me trouve sous les ordres de ma nièce, ma garde malade, qui est venue en Alzace gouverner le bien que j'y ay, et ma personne. Il faut qu'un malade obéisse. Je me flatte que votre altesse sérénissime jouit d'une santé inaltérable, et que le voyage d'Altembourg aura fait du bien à la grande maitresse des cœurs. J'ay été longtemps allarmé pour elle. Que ne pui-je venir encor partager ce zèle et cet attachement qu'elle a pour votre personne? Que ne pui-je au moins madame, contribuer de loin à vos amusements! Mais j'ay peu de relation avec la république des lettres et des bagatelles de Paris. Je n'entends parler de rien qui soit digne de votre curiosité. On ne fait plus que répéter et retourner les ouvrages faits il y a près d'un siècle, et il faudrait pour vous un siècle nouvau. Pour moy madame il ne me faudrait que votre présence. Je me mets aux pieds de Monseigneur, de votre auguste famille, et surtout aux vôtres, avec le plus profond respect et la plus tendre reconnaissance.
V.