1754-04-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Touttes les fois qu'il neige dans les montagnes des Vauges, je tremble que votre altesse sérénissime ne soit malade dans la Turinge.
Je luy suis assurément plus attaché qu'à tous ces empereurs. Elle a daigné faire le bonheur de ma vie à Gotha, et leurs sacrées majestez m'ont tué à Colmar, quoy que Colmar ne soit plus de leur empire. Je suis votre sujet madame et non le leur. Ils m'ennuyent trop.

Votre altesse sérénissime croirait elle que Le Roy de Prusse m'a écrit une lettre pleine de bonté et même d'éloges trop flateur? Cependant on vient d'imprimer à Berlin un livre contre moy, dans les quel on me reproche baucoup d'avoir préché la tolérance au roy de Prusse. Apparemment que la lettre dont il m'honore est une réponse à ce livre. Il est intitulé lettres du comte de Cataneo à mr de Volt. Votre altesse se l'a t'elle lu? Ce comte de Catanëo me paraît bien dévot et peu philosofe. Le Roy de Prusse dans le fonds de son cœur me donnera la préférence sur luy: et moy madame je ne la donnerai à personne sur vous.

Je ne souhaitte de la santé que pour vous faire ma cour. Que ne pui-je venir à Gotha sur l'âne ailé de la pucelle? Il y a baucoup d'ânes dans ce monde, mais il y en a peu qui aient des ailes.

Je me mets aux pieds de votre altesse sérénissime et de son auguste famille. Je luy souhaitte une santé aussi inaltérable que son caractère. Qu'elle ait toujours de belles heures, comme elle fait celles de quiconque l'approche.

Je luy renouvelle mes profonds respects.

V.