à Tourney par Geneve 20 august 176[0]
Madame,
J'ignore si dans la crise violente où nous sommes les lettres que j'ay eu l'honneur d'écrire à votre altesse sérénissime, luy sont parvenues.
Que pui-je dire sur l'incendie des fauxbourg de Dresde, sur tant de maisons détruittes, et tant de familles périssantes? Je dis cela ne serait pas arrivé si la branche aînée de Gotha avait conservé ses droits. Tout est révolution, tout est malheur. Votre sagesse vous procure madame des jours tranquilles au milieu de tant de désolations. On m'assure que votre altesse sérénissime a reçu le paquet qu'elle a la bonté de faire passer à made de Bassevits. Je me jette à vos pieds madame pour obtenir par votre protection les mémoires qu'on m'a promis. J'aime à écrire l'histoire d'un homme qui a fondé des villes dans un temps où nous sommes entourez de la destruction. Je suis bien vieux et bien malade, les moments me sont chers. Il ne faut pas laisser en mourant son ouvrage imparfait. C'est à votre altesse sérénissime que j'aurai l'obligation d'avoir achevé ce que j'ay commencé. Ce serait pour moy un bien beau jour que celuy où je pourais venir moy même mettre à vos pieds l'histoire d'un législateur qui a créé un empire de deux milles lieües, mais j'aimerais mieux vivre dans votre cour que dans cet empire. Touttes les fois que je lis la gazette je dis, on brûle, on égorge à droitte et à gauche et on cultive en paix la vertu dans le palais de Gotha.
Grande maitresse des cœurs vous êtes un des premiers objets de mes réflexions. Mettez moy aux pieds de leurs altesses sérénissimes et plaignez moy de leur présenter de si loin mes profonds respects.
V.