1759-04-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame

J'userai donc de la permission que votre altesse sérénissime veut bien me donner d'oser luy adresser une lettre pour Madame la comtesse de Bassevits, mais j'abuserai de cette permission et je vous supplie madame de pardonner la liberté que je prends.
Je luy envoye des livres imprimez en échange des manuscrits que je devrai à vos bontez. Quelle autre protection que la vôtre pui-je choisir madame pour luy faire parvenir ce petit ballot. Les armées occupent tous les chemins; la plus part des paquets qu'on m'envoiait de Petersbourg se sont perdus; les houzards ont pillé les matériaux de l'histoire de Pierre le grand. Les maux de la guerre influent sur tout. On parle de paix et on couvre la terre de soldats, et tandis qu'on va marier un archiduc, on célébrera ses nopces par l'effusion du sang humain. Je plains dans ces circomstances ceux qui demeurent dans le Meklembourg, et sans les bontez de votre altesse sérénissime j'aurais peur que ma lettre à madame de Bassevits ne parvint pas à son adresse.

Je vous supplie madame de vouloir bien qu'elle passe par vos respectables et très aimables mains. J'aurai l'honneur de l'envoier, quand le paquet qui va lentement sera à moitié chemin. La cousine de m. Pertriset est toujours bien fière, elle a de la beauté, de l'esprit et de L'argent. Je vous tiens madame bien plus heureuse qu'elle. Je me mets aux pieds de votre altesse sérénissime avec le plus profond respect.